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images. Le poëte fait voir tout à la fois dans ce tablean rapide l'antre odieux de Cacus, le combat d'Hercule, la crainte, les efforts du fils de Vulcain, les nuages de flamme et de fumée exhalés de sa poitrine, le réceptacle de ses brigandages, ses regards étincelans, sa chute, et son cadavre difforme. Le père Catrou étoit si frappé de la beauté de cet épisode, et surtout de la rapidité du récit, qu'il s'étonnoit de le trouver dans la bouche du vieil Evandre, dont l'imagination devoit être plus lente. Racine, dans le récit de Théramène, a cherché à imiter la perfection de l'épisode latin; il doit même à ce passage de Virgile un de ses plus beaux vers:

Le flot qui l'apporta recule épouvanté

est traduit littéralement de ces mots, refluitque exterritus amnis. Racine empruntoit ainsi de Virgile, comme Virgile empruntoit d'Homère. Le poëte grec dans le vingtième livre de l'Iliade peint l'effroi de Pluton, à la suite d'une secousse qu'à donnée à la terré un coup du-trident de Neptune: Virgile a profité de cette idée, mais il se l'est appropriée en la prenant pour sujet d'une comparaison, tandis qu'Homère la met en récit.

Ovide dans ses Fastes araconté la mort de Cacus: il piquant de comparer les deux morceaux. Virgile décrit ainsi la caverne :

Hic spelunca fuit, vasto submota recessu,.
Semihominis Caci facies quam dira tenebat,
Solis inaccessam radiis; semperque recenti
Cade tepebat humus; foribusque affixa superbis
Ora virûm tristi pendebant pallida tabo.

Voici les vers d'Ovide:

Dira viro facies, vires pro corpore, corpus

Grande; pater monstri Mulciber hujus erat.
Proque domo longis spelunca recessibus, ingens,
Abdita, vix ipsis invenienda feris.

Ora super postes, affixaque brachia pendent;
Squalidaque humanis ossibus albet humus.

Ces vers d'Ovide sont élégans et faciles, mais ils n'ont point la force et l'énergie de ceux de Virgile: les deux premiers ne donnent qu'une foible idée du monstre que le poëte veut dépeindre; le troisième est beaucoup plus expressif; ce mot ingens, placé à la fin du vers, et le mot abdita renvoyé au vers suivant, produisent un heureux effet. L'idée que le poëte ajoute à ce tableau est ingénieuse, mais ses couleurs manquent de vigueur et de force. Dans Ovide, c'est un antre que les bêtes sauvages peuvent à peine découvrir; dans Virgile, la figure épouvantable du monstre défend l'entrée de la caverne aux rayons mêmes du jour. Ovide, dans la seconde partie de sa description, montre la terre qui blanchit sous les ossemens humains, et les têtes et les bras des victimes qui pendent à la porte de la caverne : ces images n'offrent rien de comparable à ces mots, semperque recenti cæde tepebat humus, la terre fumoit sans cesse du meurtre qu'il venoit de commettre, qu'il commettoit chaque jour : la seule épithète de recenti caractérise l'homme de génie; l'épithète de superbis n'est pas moins belle, et peint très-bien la férocité de Cacus. En général, Ovide reste bien loin de son modèle ; le mètre qu'il emploie n'a pas d'ailleurs la noblesse nécessaire pour de si grands

tableaux. Nous laissons aux professeurs le soin d'achever cette comparaison, et de faire remarquer en détail les beautés sans nombre que Virgile s'est plu à rassembler dans son épisode.

Hinc ad Tarpeiam sedem et Capitolia ducit,
Aurea nunc, olim silvestribus horrida dumis.
Jam tum relligio pavidos terrebat agrestes, etc.

On ne peut rien concevoir, dit un commentateur, de plus sublime que l'image exprimée dans ces vers. La montagne sur laquelle doit être un jour bâti le Capitole est déjà, dans ces temps reculés, remplie d'une religieuse horreur ; les Arcadiens la regardent déjà comme le séjour d'une divinité; ils croient y avoir vu Jupiter lui-même descendant au milieu des foudres et des nuages, et agitant sa noire égide, nigrantem ægida. Quelques savans ont remarqué à ce sujet que la religion des païens pouvoit bien n'ètre qu'une imitation corrompue de la religion des Juifs. « En effet, dit le docteur » Trapp, le Jupiter des païens avoit choisi une montagne » pour son séjour, comme le dieu de l'Écriture. » Le Seigneur, d'après le Psalmiste, avoit choisi Sion pour sa demeure; le Seigneur se plaît à habiter la montagne de Sion. Pline nous apprend que les Romains se figuroient Jupiter present au Capitole, et se montrant dans toute sa gloire comme dans le plus haut des cieux.

La foudre et les nuages à travers lesquels Virgile fait ici paroître Jupiter donnent une véritable idée de la majesté divine: ces images sont souvent répétées dans l'Écriture, et elles y donnent partout l'idée la plus sublime du vrai Dieu. Moïse, en racontant l'apparition de Dieu sur le mont Oreb,

dit que la montagne lança des feux jusque dans le milieu du ciel, qu'elle fut environnée de nuages et de profondes ténèbres. La description du Psalmiste a quelque chose encore de plus sublime : « La terre trembla, les fondemens mêmes des » montagnes s'ébranlèrent. Les cieux s'abaissèrent; le Sei>> gneur descendit Sur la terre, et des ténèbres épaisses étoient » sous ses pieds. Il s'élevoit au dessus des chérubins, et voloit » sur les ailes des vents. L'obscurité étoit son sanctuaire ; un pavillon étoit élevé autour de lui, et des nuages couvroient » sa face. »

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Il est vrai de dire que cette idée de l'obscurité est trèspropre à exprimer la majesté; qu'elle convient peut-être mieux aux images de la grandeur et de la toute-puissance, que l'éclat et la lumière dont la plupart des poëtes se plaisent à parer leur Olympe. Il n'est rien peut-être de plus majestueux que la tranquillité d'une nuit profonde ; et cette image devoit surtout frapper les anciens païens, qui regardoient la nuit comme la plus ancienne et la plus redoutable de leurs divinités.

Talibus inter se dictis ad tecta subibant

Pauperis Evandri, passimque armenta videbant
Romanoque foro et lautis mugire Carinis.

Combien celte transition est heureuse! Combien ce contraste est touchant! Après avoir parlé de la majesté du Capitole, et montré dans l'avenir la gloire de Rome, le poëte conduit son lecteur sous le chaume d'Évandre, pauperis Evandri. Ce rapprochement, comme l'observe judicieusement un commentateur, flattoit l'amour-propre des Romains, qui regardoient leur agrandissement comme leur ouvrage :

le lecteur est à la fois touché de la simplicité d'Évandre, et frappé de la splendeur à laquelle s'élèvera la postérité d'Énée. Plusieurs poëtes contemporains de Virgile ont fait le même rapprochement :

Sed nunc pascebant herbosa palatia vaccæ,

Et stabant humiles in Jovis arce case.
Lacte madens illic suberat Pan ilicis umbræ,
Et facta agresti lignea falce Pales.

Tib. el. 5, lib. 2.

Hoc quodcumque vides, hospes, quàm maxima Roma est,

Ante Phrygem Æneam, collis et herba fuit.
Atque ubi navali stant sacra palatia Phoebo
Evandri profugæ procubuere boves.

Propertius, lib. 4.

Ovide exprime la même idée dans ses Fastes, au premier et au cinquième livre. Ce contraste devoit en effet frapper l'esprit des Romains; il ne pouvoit pas surtout échapper à l'imagination des poëtes témoins de la splendeur et de la magnificence des Césars: mais il appartenoit à Virgile de dire quelque chose de plus que les autres, et de tirer d'un si beau sujet des leçons de morale dont ses contemporains auroient pu profiter:

Hæc, inquit, limina victor

Alcides subiit; hæc illum regia cepit.

Aude, hospes, contemnere opes, et te quoque dignum

Finge deo; rebusque veni non asper egenis.

On reconnoît bien dans ces vers le poëte qui se plaisoit à

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