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Il dit, et marche à lui, sa lance dans la main.

« Assassin de mon fils, tu me braves en vain,

>> Dit Mézence: tes coups ne peuvent plus m'atteindre;
>> Mon fils n'est plus, de toi qu'aurois-je encore à craindre?
» Son sort pouvoit lui seul te soumettre mon sort.
>> Je ne crains point les dieux, et viens chercher la mort.
>> Mais tiens, reçois avant les adieux de Mézence. ».
Soudain son bras vengeur a fait partir sa lance;
Puis vole un second trait, puis un autre le suit.
Dans le cercle poudreux que son coursier décrit,
Il vole, il tourne, il frappe. Énée à cet orage
Avec son bouclier oppose son courage.
Trois fois autour de lui Mézence prend l'essor,
Et l'accable de traits, et l'en accable encor;
Trois fois l'orbe d'airain où leur forêt s'arrête,
Tout hérissé de dards, tourne avec la tempête.
Enfin, impatient de tous ces longs détours,
Et d'arracher des traits qui renaissent toujours,
Pour finir un combat qui lasse sa vaillance,
Dans le front du coursier que fait tourner Mézence,
Le fier Troyen enfonce un trait armé de fer.
L'ardent coursier se cabre, et, s'agitant dans l'air,.
Chancelle, se renverse, et tombe sur son maître.

Avant que le Toscan puisse se reconnoître,
Au milieu d'un long cri de toutes parts lancé,
Son terrible ennemi soudain s'est élancé;

Puis, le glaive à la main : « Eh bien ! fougueux Mézence >> Où donc est ce grand cœur, cette fière vaillance? » Lui dit-il. Le guerrier à peine respirant,

Mais le bravant encor de son regard mourant:

« Barbare! pourquoi donc menacer ta victime? » Cesse de m'insulter, ma mort n'est point un crime. >> Je n'attends point de grâce étant vaincu par toi, » Et Lausus à ce prix n'a pas traité pour moi. » Mais, si ton cœur connoît les saints droits de la guerre, » Au malheureux Mézence accorde un peu de terre. » Je sais que contre moi tous les cœurs sont aigris; » Dérobe à leur fureur mes malheureux débris; >> Et, puisque par tes mains le trépas nous rassemble, >> Fais que Lausus et moi nous reposions ensemble. » Il dit, il tend la gorge au glaive suspendu, Le reçoit, tombe, et meurt dans son sang étendu.

TIN DU DIXIÈME LIVRE.

SUR LE LIVRE DIXIÈME.

L'IMPORTANCE

'IMPORTANCE des évènemens, et la variété des descriptions qu'offre ce dixième livre excitent l'attention et l'intérêt d'une manière plus touchante, peut-être, que ceux qui le précèdent. Un petit nombre de guerriers, triste débris d'un peuple naguère formidable, sous les ordres du fils d'Énée, sur qui reposent encore les destinées de l'univers, sont entourés par toutes les nations de l'Italie; pressés derrière de foibles retranchemens, ils vont succomber, si leur chef ne se hâte d'arriver à leur secours : telle est la situation déplorable de ces malheureux Troyens échappés à tant de combats, à tant de naufrages. Le poëte épique fait ici, en quelque sorte, mouvoir sur le théâtre des combats les principaux ressorts de la tragédie; l'intérêt de ses tableaux est puisé dans les sentimens de la pitié et de la terreur, que font naître à la fois tant d'évènemens opposés et inattendus. Si les Troyens eussent toujours été victorieux, le lecteur se fùt moins intéressé à leur sort: mais ils sont près de succomber; ils sont commandés par un enfant ; toutes les promesses des dieux sont sur le point d'être démenties; la tendre inquiétude qu'inspire cette situation augmente l'intérêt, et fait desirer plus vivement leur triomphe. Il est dans la nature du cœur humain de s'attacher davantage à ceux pour lesquels on a

conçu des alarmes ; et les destinées de Troie qui renaît pour ainsi dire dans chaque vers de l'Énéide, deviennent plus chères au lecteur qui a craint qu'elle ne pérît une seconde fois. Ce moyen d'intéresser est souvent employé par Virgile, qui place sans cesse son héros entre la bonne et la mauvaise fortune; mais nulle part il n'en a fait un usage plus heureux que dans ce dixième livre. Rien n'étoit plus propre d'ailleurs à faire ressortir l'héroïsme d'Énée, que de représenter les dangers des siens pendant son absence ; c'étoit la manière la plus ingénieuse d'amener et de faire desirer son retour. Les dieux mêmes sont touchés de la situation des Troyens; et Virgile fait en cette occasion le plus bel emploi du merveilleux : quoi de plus imposant que le conseil des dieux qui ouvre ce dixième livre? Les discours prononcés dans cette augustę assemblée y sont dignes en tout point des habitans de l'Olympe. Le voyage d'Énée à la cour de Tarchon est aussi rapide que l'exigeoit l'impatience du lecteur; sa navigation est semée de descriptions brillantes ; et le dénombrement des guerriers qui viennent des rives du Pò au secours des Troyens, offre des détails précieux sur l'origine des habitans de cette contrée. La descente de la flotte d'Énée, en présence de l'armée de Turnus, est d'autant plus remarquable, que Virgile n'avoit point de modèle dans ce genre. Ensuite quelle variété dans les combats! Sous combien de formes se présentent les guerriers rivaux, leurs efforts, leur victoire ou leur défaite! Avec quel art le poëte sait varier les scènes de carnage par des images touchantes, et par l'impression des plus doux sentimens de la nature ! Il n'est pas une victime qui ne soit immolée dans une situation intéressante, et qui n'arrache des larmes même à son vainqueur. Lausus surtout, ce

:

bel exemple de la piété filiale, dont Énée ne tranche les jours qu'à regret; le désespoir de Mézence qui succombe en cherchant à venger son fils; les menaces de ce fougueux contempteur des dieux, ses larmes paternelles, et le remords éveillé par sa défaite tout cela est puisé dans une connoissance parfaite du cœur humain. Une chose non moins admirable, c'est l'art avec lequel le poëte entretient dans l'esprit du lecteur l'impatience de voir se mesurer les deux principaux acteurs de ces scènes sanglantes, l'art avec lequel il sait prolonger l'intérêt de son action et retarder le dénouement pour le rendre plus frappant et plus solennel. Les deux héros doivent jusqu'à la fin paroître invincibles: cependant il ne faut rien moins que la protection de Junon pour garantir Turnus de la mort qui l'attend.

Panditur interea domus omnipotentis Olympi.

Ce vers annonce parfaitement les importantes discussions qu'on doit entendre. La belle épithète omnipotentis appliquée à l'Olympe n'a pas été sentie par les commentateurs, qui se sont efforcés d'y substituer un autre mot. Ils n'ont pas vu que la poésie attribuoit souvent aux choses inanimées les qualités des personnes, et que l'idée de la puissance, qui appartient spécialement aux dieux, est ici transportée à l'Olympe qui est leur demeure. Au reste, la figure latine a passé dans notre langue, et nous disons, le ciel tout-puissant, comme les Latins disoient, omnipotens Olympus.

Les trois discours prononcés dans le conseil des dieux sont admirables, et prouvent à ceux qui connoissent le moins Virgile, que, s'il n'eût pas voulu être le premier des poëtes, il ne tenoit qu'à lui d'ètre le plus grand des orateurs, Chacun

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