ページの画像
PDF
ePub

Laride Thymberque, simillima proles,

Indiscreta suis, gratusque parentibus error:
At nunc dura dedit vobis discrimina Pallas.

La mort de ces deux frères jumeaux chéris de leurs parens, et tellement ressemblans que la différence de leurs blessures seule a pu les distinguer, est un des plus beaux exemples de l'art avec lequel Virgile sait mêler ses batailles de la peinture des vertus de la paix et des mœurs domestiques. On a beaucoup vanté les combats du Tasse, et le Tasse a partout suivi Virgile, auquel il a emprunté un grand nombre de beautés de détail Parmi les larcins qu'il lui a faits, on peut citer celui-ci « Pic et Laurent vivoient encore; tous deux » avoient en même-temps respiré le jour; tous deux avoient » même air et mêmes traits, et leur ressemblance étoit sou» vent pour leurs parens la source d'une douce erreur. Mais » Soliman met entr'eux une cruelle différence; à l'un il » tranche la tête, il perce le sein à l'autre. » Ces détails si touchans sont copiés mot pour mot de Virgile. Op ne trouve rien de semblable dans Homère. L'auteur de l'Iliade semble avoir moins pour but d'émouvoir que d'étonner le lecteur. L'étendue de ses récits, et surtout les longs discours de ses héros, sembloient cependant lui recommander d'une manière plus impérieuse de varier ses tableaux par ces scènes attendrissantes qui reposent l'attention, et renouvellent l'intérêt ; et on ne peut nier qu'en cela, comme nous l'avons dit plusieurs fois, le poëte latin ne lui soit bien supérieur. On pourroit ajouter que les batailles de Virgile sont présentées d'une manière plus régulière. M. de Puységur a placé Homère au nombre des écrivains militaires: on doit s'étonner qu'il n'y ait point placé l'auteur de l'Eneide. Partout, dit le comte

[ocr errors]

mée

que

Algarotti, Virgile fait éclater ses connoissances guerrières, soit qu'il s'agisse d'asseoir un camp, soit qu'il faille l'attaquer ou le défendre; il sait aussi bien faire marcher une arla mettre en ordre de bataille, et il place avec art les corps qu'il désigne dans les lieux où ils ont le plus d'avantage. Au reste, il n'est pas étonnant qu'il soit initié dans les secrets de l'art militaire; la plupart de ses amis, Pollion, Varus, Mécène, étoient guerriers; et Horace lui-même pouvoit entrer dans son conseil de guerre, militiæ quamquam

piger et malus.

que

Quoique les batailles de Virgile soient de la même époque celles d'Homère, on ne peut nier qu'elles ne se ressentent des progrès que l'art de la guerre avoit faits chez les Romains. On seroit peut-être fondé à lui faire un reproche de cette espèce d'anachronisme; mais on regrette plutôt que son sujet ne lui ait pas permis de nous faire connoître cet art funeste au point où l'avoit porté l'habileté des Césars. Ses descriptions auroient peut-être fourni aux savans des notions plus précises que celles de Polybe. Mais combien cette fu¬ neste science a fait de progrès depuis le siècle d'Auguste! Elle a laissé bien loin derrière elle les arts qui tendent à conserver les hommes et à les rendre meilleurs; tout est changé, et les poëtes peuvent regarder ce sujet comme entièrement neuf. On a souvent dit que depuis l'invention de la poudre, depuis que les hommes ne se pressent plus corps à corps sur un champ de bataille, les tableaux de la guerre fournissent moins de descriptions à la poésie. Cette assertion restera sans réponse jusqu'à ce qu'un poëte de génie se soit lui-même trouvé sur un champ de bataille, et qu'il ait entendu les coups redoublés de la mousqueterie et les détonuations du

canon. Quoi de plus imposant, en effet, que ces lignes immenses, hérissées d'armes brillantes, qui se meuvent à la fois, que la fumée couvre tout à coup, et que des feux pareils à ceux de la foudre éclairent par intervalle? Ajoutez-y le sifflement des balles, celui du boulet meurtrier qui frappe la terre et prend un nouvel essor; les éclats de l'obus, qui porte au loin ses ravages; la marche imposante de la bombe enflammée qui descend jusqu'aux entrailles de la terre, et dont les éclats, semblables à l'éruption d'un volcan, soulèvent les plus vastes édifices......... Quoi de plus digne de la poésie, et de plus fait pour échauffer l'imagination! Voltaire auroit pu, dans sa Henriade, faire plusieurs tableaux de ce genre; mais, comme on l'a dit ailleurs, lorsque Voltaire composa son poëme, il ne connoissoit encore que Paris et la cour. La bataille de Fontenoi, qu'il a décrite depuis, n'est qu'une bien foible esquisse des scènes que nous venons d'indiquer : ce qui manque le plus dans ce poëme, comme dans la Henriade, ce sont les détails et la vérité des couleurs.

Saxo ferit ora Thoantis,

Ossaque dispersit cerebro permixta cruento.

- Le premier de ces deux vers exprime la rapidité de la pierre qu'a lancée Pallas, et le second montre bien à l'inagination ses effrayans effets..

Desiluit Turnus bijugis; pedes apparat ire, etc.

Ce tableau, de Turnus comparé à un lion a toute la vigueur des couleurs d'Homère. Celui de son combat avec Pallas est tracé rapidement, et cependant il est complet. Virgile décrit en peu de mots ce qui eût fourni plusieurs

tels

pages au poëte grec. On y remarque des vers brillans,' surtout dans le genre descriptif où il excelle toujours, ceux-ci :

At Pallas magnis emittit viribus hastam,

Vaginâque cavâ fulgentem deripit ensem.

Illa volans, humeris surgunt quà tegmina summa,
Incidit.

que

On voit bien dans les premiers vers les efforts de Pallas : le troisième montre à la fois et la rapidité et les effets du coup qu'il porte. On ne peut comparer ici Virgile qu'à luimême, et la lance de Pallas rappelle le javelot de Laocoon dans le second livre.

Quo nunc Turnus ovat spolio gaudetque potitus:
Nescia mens hominum fati sortisque futuræ,

Et servare modum, rebus sublata secundis! etc.

Addisson observe que ces sortes de digressions de la part de l'auteur ralentiroient la narration si elles étoient trop longues et trop multipliées; mais en même-temps ce judicieux critique a remarqué, dit-il, avec une secrète admiration que celle-ci est la plus longue que Virgile se soit permise dans tout son poëme, parce que ce petit incident, peu important en apparence, sert à annoncer le plus grand évènement de l'Énéide. C'est la vanité de Turnus à se parer des dépouilles de son ennemi qui prépare sa perte. Le poëte qui veut recommander à l'attention du lecteur ce baudrier destiné à faire en quelque façon le dénouement du poëme, en fait la description avec soin, et il consacre plusieurs vers à cette action de Turnus, très-ordinaire en elle-même : un

seul lui auroit suffi dans toute autre occasion. Le vers suivant offre un exemple remarquable de sa concision ordinaire.

O dolor atque decus magnum rediture parenti!

Que de sentimens exprimés dans une seule ligne! La douleur que doit causer la mort du jeune héros, l'illustra tion de sa famille par son glorieux trépas, et surtout l'afflic tion du bon Évandre, tout cela est en trois mots.

Pallas, Evander, in ipsis

Omnia sunt oculis; mensæ, quas advena primus
Tunc adiit, dextræque datæ.

Il est essentiel d'observer ici que les actions les plus importantes d'Énée sont toujours déterminées par des sentimens de justice et de vertu. Il se rappelle qu'il est fils en voyant égorger Priam, et il vole au secours de son père ; il se rappelle qu'il est père lorsqu'un jeune homme implore sa clémence, et il lui pardonne en faveur d'Ascagne; ici, il a devant les yeux le meurtre du jeune Pallas et la douleur d'Évandre, à la table duquel il s'est assis, ce qui étoit chez les anciens le témoignage de l'amitié la plus inviolable; il voit les bienfaits et les larmes de ce bon roi, et c'est pour venger son fils qu'il veut immoler huit jeunes guerriers, qu'il égorge le lâche Magus, qu'il poursuit impitoyablement un prêtre d'Apollon, refuse la sépulture à ses victimes; et qu'enfin tel qu'Egeon aux cent bras, vomissant des torrens de flammes, porte partout la terreur et la mort.

Et genua amplectens effatur talia supplex....

Cette prière du lâche Magus est empruntée de celle

« 前へ次へ »