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D'autres sont inhumés dans ces fatales plaines;
Quelques-uns sont portés dans les cités prochaines;
Le vulgaire en mongeaux brûle confusément,
Et l'oeil parcourt au loin ce vaste embrasement.
Pour la troisième fois le jour venoit d'éclore,
Dans ces tristes emplois il les retrouve encore.
Les uns vont recueillir ces ossemens chéris,
Les autres dans la terre enferment leurs débris.

Mais c'est dans les remparts de la triste Laurente Que la douleur se montre encor plus déchirante. Là, des mères en deuil, de malheureuses sœurs, Celles qui de l'hymen regrettent les douceurs, Les pères sans enfans, le fils privé d'un père, Tout maudit des combats la fureur meurtrière, Tous détestent Turnus et son hymen fatal: «Que ne va-t-il lui-même attaquer son rival? >> Jaloux du premier rang, au péril de sa tête » C'est à lui, disoient ils, d'en tenter la conquête.» Son ennemi Drancès appuyoit ces discours: « Le Troyen n'en veut pas à nos biens, à nos jours; » C'est Turnus qu'il attend, c'est Turnus qu'il défie: » Faut-il qu'à son orgueil l'État se sacrifie ? » D'autres vengent Turnus: « Il a pour lui ses droits, » Le grand nom de la reine, et ses brillans exploits. Cependant, revenus de leur noble message, Dont le triste succès se lit sur leur visage,

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Ceux qu'au grand Diomède envoya Latinus
Viennent de ce héros annoncer les refus.
Les présens, la prière, ont été sans puissance:
Il faut donc recourir à quelque autre alliance,
Ou demander la paix au héros d'Ilion.
Latinus s'abandonne à son affliction;

Tant de morts, tant de sang, l'ont averti qu'Énée
Est ce roi qu'aux Latins promet la destinée.
Soudain dans son palais ses souveraines lois
Appellent son conseil. Accourue à sa voix,
Des premiers de l'État la foule l'environne.
Le sceptre dans la main, sur son front la couronne,
Le premier par son âge et par l'autorité,
Le roi s'assied: alors, d'un air de majesté,
Aux députés Latins il ordonne d'apprendre
Ce que de Diomède enfin on peut attendre.
Tout prend en sa présence un air respectueux;
On se tait. Vénulus, d'un ton majestueux,
Parle en ces mots: «Enfans de l'antique Ausonie,
>> Nous avons vu des Grecs l'illustre colonie.
» Après mille travaux, après mille dangers,
» Dans les murs qu'ont bâtis ces nobles étrangers
>> Nous avons vu leur chef que Laurente réclame,
>> Et touché cette main sous qui tomba Pergame.
» Au pied du mont Gargan son bras victorieux

>>

D'Argyripe fondoit les remparts glorieux:

» Dignes enfans d'Argos, les peuples de la Pouille >>> De la triste Phrygie ont reçu la dépouille.

>> Introduits devant lui, nos présens étalés,

>> Nous lui disons nos noms, de quels lieux reculés » Nous venons sur ses bords, quel sujet nous amène. >> Le héros nous répond: - O race Ausonienne! » Bon peuple de Saturne, et si sage et si doux! » A votre longue paix pourquoi renoncez-vous? » Aux enfans d'Ilion ne livrez point la guerre. » Nous tous, de qui l'audace a profané leur terre, >> Sans vous parler ici de ces braves guerriers » Que la mort sous leurs murs moissonna par milliers, » De ceux que dans ses flots roule encor le Scamandre, » Nous avons payé cher leurs murs réduits en cendre! >> De malheurs en malheurs traînés dans l'univers,

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Hélas! Priam lui-même auroit plaint nos revers.

>> J'en atteste Pallas déchaînant sur nos têtes,

» Et le courroux des vents et l'horreur des tempêtes, » Et le mont Capharée et son rocher vengeur:

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Après ces grands combats, malheureux voyageur,
Que dis-je ? fugitif sur la terre et sur l'onde,

>> Ménélas a traîné sa course vagabonde

» Jusqu'aux bords de Protée; et dans leur antre affreux » Ulysse a vu d'Etna les enfans monstrueux. » Vous dirai-je Pyrrhus égorgé par Oreste, >> Idoménée aux dieux offrant son vœu funeste,

» Les compagnons d'Ajax et ses fiers Locriens >> Jetés par la tempête aux sables libyens?

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Agamemnon enfin, leur monarque suprême, » Dans son propre palais, par sa femine elle-même » Lâchement égorgé, laisse à son traître amant >> Et son trône et son lit de son meurtre fumant. » Et moi, près d'en jouir, la fortune jalouse » M'envia ma patrie et m'ôta mon épouse. >> Pour comble de malheur, un destin odieux » Du supplice des miens épouvanta mes yeux. >> Le long des eaux, le long de leurs sauvages rives, » J'entends leur triste vol, j'entends leurs voix plainti >> J'avois trop mérité ce destin plein d'horreur; >> Je devois le prévoir, le jour que ma fureur » Osa des immortels provoquer la colère, » Et du sang de Vénus teindre un fer téméraire. >> Souffrez donc que j'oublie en une douce paix » Les maux que j'ai soufferts, et les maux que j'ai faiß >> J'abhorre les combats, je pleure sur ma gloire, »Et voudrois racheter ma coupable victoire.

» Ces présens que vos mains ont apportés pour moi, >> Faites-en près d'Énée un plus utile emploi:

» C'est lui qu'il faut gagner. De sa haute vaillance >> J'ai fait plus d'une fois la dure expérience, >> Et dans plus d'un combat mes yeux ont vu de près >> De quel bras foudroyant il fait voler ses traits.

» Si deux héros pareils avoient défendu Troie,
» Les vainqueurs des vaincus auroient été la proie,
» Et la Grèce eût changé, rabattant son orgueil,
>> Ses pompes de victoire en des pompes de deuil.
» Avec le grand Hector le valeureux Énée

» Recula de dix ans leur fatale journée :

>> Tous deux pleins de vertus, pleins de valeur tous deux » Mais rien n'égale Énée en respect pour les dieux : » Que ne l'ai-je imité! Vous, cessant vos querelles, » Renouez de la paix les chaînes mutuelles ; » Prévenez ce grand choc aux deux peuples fatal, >> Et surtout gardez-vous d'un combat inégal. >> - De la part de ce roi voilà ce que j'annonce; » Tels sont ses sentimens, et telle est sa réponse : » Nos devoirs sont remplis. » Il dit, et le conseil Aussitôt fait entendre un murmure pareil A celui d'un torrent qui, fuyant de sa source, Trouve sur son passage un obstacle à sa course, Et va contre le roc qui le tient arrêté Se plaindre en murmurant de sa captivité.

Mais enfin le tumulte a fait place au silence; Le roi s'adresse aux dieux, se rassied, et commence: << Citoyens, vous voyez, nos dangers sont pressans; » Nos murs sont entourés d'ennemis menaçans; » Ailleurs on nous attaque, ici l'on délibère: » Mon devoir m'imposoit un soin plus nécessaire

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