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SUR LE LIVRE ONZIE ME.

PLACE au milieu des tableaux de la guerre, la plus grande partie de ce onzième chant paroît destinée à en faire déplorer les résultats, et présente au lecteur une diversion aussi heureuse que naturellement amenée. Les gémissemens et les pompes funèbres succèdent au bruit des armes ; et des torrens de larmes coulent en expiation du sang qui vient d'être répandu. Le poëte s'arrête long-temps à ces scènes de deuil, et son ame sensible s'y déploic tout entière. Mais de pareilles leçons furent toujours perdues; l'épuisement ou la destruction seuls terminent les querelles des nations. Aussi, après avoir représenté les deux peuples livres aux regrets les plus douloureux, et ne songeant qu'à rétablir la paix, Virgile termine ce livre par la reprise des hostilités, et par un combat non moins sanglant que ceux qui précèdent. Le récit de cette guerre n'est autre chose qu'un tableau de ce qui s'est passé dans tous les siècles et chez tous les peuples de l'univers. Il n'en est aucun dans les annales duquel on ne pût reconnoître après une bataille sanglante l'épouvante et les irrésolutions des Latins, les conseils de la peur opposé's aux élans du courage, et enfin les effets de l'eloquence pacifique de Drancès bientôt détruits par l'orgueilleuse audace de Turnus. L'indécision et la foiblesse du bon Latinus trouveroient aussi de nombreuses applications.

La muse de Virgile étoit fatiguée de carnage; elle semble avoir eu de la peine à finir le chant qui précède; elle n'a fait qu'indiquer la victoire, laissant à l'imagination du lecteur le soin d'achever le tableau d'une aussi horrible journée, et d'en voir les résultats dans les faits glorieux qui ont signalé la valeur troyenne. Une nouvelle scène va s'ouvrir; et l'aurore, en commençant le onzième livre, vient montrez aux humains les funestes effets des fureurs de la veille. Après un court récit des actions de grâces et des trophées de son héros, le poëte le représente tout entier livré à ses regrets. Il a fait de grandes pertes, et le nombre de ses fidèles compagnons diminue de jour diminue de jour en jour; mais la mort de Pallas doit surtout l'affliger. Il voit les larmes du malheureux Évandre, il l'entend lui demander son fils, l'accuser de sa mort, et il s'en accuse lui-mème de la manière la plus touchante : Hæc mea magna fides!

Le

Circùm omnes famulûmque manus, Trojanaque turba,
Et mæstum Iliades crinem de more soluta.

Ipse caput nivei fultum Pallantis et ora

Ut vidit levique patens in pectore vulnus...

corps de ce jeune guerrier, entouré par ses amis et ses plus fidèles serviteurs, par des femmes éplorées, et surtout par le vieux Acète, offre le tableau le plus attendrissant. La poésie de Virgile est toujours comme la peinture; et il semble que се soit dans la lecture de ses ouvrages qu'Horace ait puisé ce précepte important. L'épithète nivei, qui exprime la beauté de ce jeune héros, doit ajouter aux regrets que sa mort excite. C'est ainsi qu'Euryale meurant a été représenté dans le neuvième livre : Pulchrosque per artus it

eruor. L'épithète levi est d'une hardiesse qui n'appartient qu'à la langue latine, et elle est fort adroitement mise en opposition avec la profondeur de la blessure dont ce jeune cœur est atteint. Tous ces effets sont vrais; Virgile n'a rendu que les plus remarquables, parce que la poésie, qui exprime plusieurs choses interdites à la peinture, a aussi l'avantage de pouvoir en supprimer d'inutiles que celle-ci est obligée de rendre. Ces deux avantages, en étendant la carrière du poëte, ajoutent aux difficultés, et rendent les écueils plus fréquens.

Qualem virgineo demessum pollice florem,

Seu mollis violæ, seu languentis hyacinthi,

Cui neque fulgor adhuc, nec dum sua forma recessit;
Non jam mater alit tellus, viresque ministrat.

Comme la tendre fleur qui périt dès qu'elle ne reçoit plus le suc nourricier de la terre, Pallas succombe la première fois qu'il a quitté le toit paternel. Cette comparaison est d'un charme inexprimable; c'est une des plus belles de Virgile par l'exactitude des images et la perfection des vers. Toutes les expressions y sont languissantes et très-convenables aux sentimens que doivent faire naître les funérailles d'un jeune

héros.

Post bellator equus, positis insignibus, Æthon
It lacrymans, guttisque humectat grandibus ora.

Cette image d'un vieux cheval de bataille pleurant derrière le corps de son maître immolé, complète bien le tableau de la douleur générale, et elle est très-poétique. Mais on a aussi voulu qu'elle fut vraisemblable, et c'est dans Pline le naturaliste que les défenseurs de Virgile ont trouvé une ré

ponse aux critiques; il parle ainsi des chevaux: Amissos lugent dominos, lacrymasque interdùm desiderio fundunt. Le portrait beaucoup plus étendu que Buffon a fait de cet animal vient à l'appui de cette assertion; il a été cité ailleurs. Homère a aussi fait répandre des larmés aux chevaux d'Achille après la mort de Patrocle.

Quoi qu'il en soit, la marche de cette pompe funèbre est vraiment imposante, et le poëte la entourée des plus lugubres couleurs. Il ne peut plus rien y ajouter, et il la coupe adroitement en revenant à son héros, occupé d'autres soins non moins importans.

Jamque oratores aderant ex urbe Latinâ, etc.

Cette députation solennelle est un hommage éclatant rendu à la valeur d'Énée par ses ennemis eux-mêmes; ils le reconnoissent pour leur vainqueur, en lui demandant la permission de rendre les derniers devoirs à leurs morts; et celle circonstance fournit au poëte une heureuse occasion de signaler la générosité de son héros, de faire remarquer la justice de sa cause, et de préparer le dénouement du poëme. Ces trois objets importans se trouvent remplis dans ces trois vers: Equidem et vivis concedere vellem.

Nec veni, nisi fata locum sedemque dedissent;

Equius huic Turnum fuerat se opponere morti.

Ferro sonat icta bipenni

Fraxinus; evertunt actas ad sidera pinus;

Robora nec cuneis et olentem scindere cedrum,
Nec plaustris cessant vectare gementibus ornos.

Ces vers sont remarquables par l'harmonie, l'extrêm?

propriété des expressions, et l'exactitude des détails. Le premier,qui exprime les coups inégaux et précipités dont retentit la forêt, est dur et difficile à prononcer; c'est évidemment un effet calculé de l'harmonie imitative. Le dernier, d'une élégance facile, semble marcher avec les chars qu'il décrit. Une autre remarque qui pourra paroître minutieuse, mais qui cependant n'est pas moins importante, c'est le soin que Virgile a de ne jamais employer que l'expression propre, et de donner aux moindres détails la plus sévère exactitude. Il s'est servi ici de trois différentes images pour exprimer la coupe des arbres. D'abord ce sont les coups portés sur le frêne qui retentissent, et l'on sait que cette espèce de bois est plus sonore que les autres. Ensuite il représente la chute du pin, parce que l'élévation de cet arbie rend sa chute plus remarquable. Le cèdre est cité pour sa dureté, et le poëte n'a pas oublié de rendre les efforts des cognées qui le fendent avec peine.

Cette trève et les premières négociations ont un moment suspendu les pleurs et les chants de mort, et en rapprochant un instant les deux peuples ont offert un heureux présage de ce qu'ils seront un jour. Le poëte a quitté la pompe funèbre pendant une longue marche qui ne pouvoit rien offrir à ses descriptions; c'est au moment le plus intéressant qu'il y revient, au moment où elle entre dans la ville de Pallantée.

Arcades ad portas ruere ; et de more vetusto
Funereas rapuere faces : lucet via longo
Ordine flammarum, et latè discriminat agros.

Contrà turba Phrygam veniens plangentia jungunt

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