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>> J'ai perdu mes amis; j'ai perdu Murranus,

>>

Égorgé, dieux vengeurs! sous les yeux de Turnus; » Je crois le voir encore, étendu sur le sable, >> M'appeler vainement d'une voix lamentable. >> Le malheureux Ufens, repoussant mes secours, » Pour ne pas voir ma honte a terminé ses jours; >> Son corps est aux Troyens, les Troyens ont ses armes, » Il me manquoit, parmi tant de sujets d'alarmes, » De voir nos murs détruits. Tranquille spectateur, » Justifìrai-je donc mon lâche accusateur?

Et sacrifiant tout, gloire, amour, hyménée, Montrerai-je Turnus fuyant devant Énée ? Non, non: marchons sans crainte au-devant de mon sort, >> Mourons; est-ce au malheur à redouter la mort? » O vous! puisque les cieux me sont inexorables, » Divinités d'enfer, soyez-moi favorables!

J'irai, j'irai trouver tous mes nobles ayeux, >> Et Turnus au tombeau descendra digne d'eux. » Comme il parloit, Sacès vers son chef intrépide Vient, traversant les rangs sur son coursier rapide; Et lui montrant de loin son visage sanglant, « Turnus, ayez pitié de ce peuple tremblant, » Dit-il; vous seul pouvez relever son courage: au pied des murs fait éclater sa rage; >> Il presse, il frappe, il tonne, et nos forts démolis >> Dans leurs débris fumans vont être ensevelis;

>>

Énée

»Sur leur faîte ébranlé déjà volent les flammes. » Accourez; nos vieillards, nos enfans et nos femmes, » Tous, jusqu'à nos guerriers, n'espèrent qu'en Turnus; » Tous ont sur vous les yeux : le triste Latinus, » Glacé par la terreur, glacé par la vieillesse,

» Doute de quel côté doit pencher sa foiblesse. » C'est peu préparez-vous à de plus grands malheurs : » La reine, succombant au poids de ses douleurs,

» La reine, votre appui, détestant la lumière,

"

» A de ses propres mains abrégé sa carrière...
» Le valeureux Messape et le brave Atinas
» Autour de nos remparts animent nos soldats:
» Une double phalange autour d'eux s'est pressée;
» D'une moisson de fer la terre est hérissée;
» Et, lorsque la mort vole au pied de ce rempart,

Turnus sur ces gazons promène en paix son char!... »
Frappé de tant de coups dont frémit sa vaillance,
Turnus reste immobile et garde un long silence.
Il sent tout à la fois bouillonner dans son cœur
La douleur insensée, et la haine, et l'honneur ;
Et l'amour furieux et sa jalouse rage
Égarent ses esprits et troublent son courage.
Cet aveugle délire est à peine calmé,

Il tourne vers la ville un regard enflammé;
Il voit, dieux! quel objet! la flamme étincelante,
S'élevant dans les airs en colonne brûlante,

Sur les flancs d'une tour rouler au gré du vent:
Lui-même en construisit l'édifice mouvant,

Et sa main avec art élevant chaque étage
Sur des orbes roulans en posa l'assemblage.

« Ah! c'en est trop, dit-il, obéissons aux dieux;
» J'entends la voix du sort, j'entends l'arrêt des cieux.
» Juturne, vainement ta tendresse m'arrête,
» Je marche à ce combat au péril de ma tête;
» Tu ne me verras pas indigne de ma sœur :
>> Laissons la mon salut, il s'agit de l'honneur.
>> Adieu, je ne prends plus que ma rage pour guide. »
Il dit, et de son char descend d'un saut rapide,
Laisse Juturne en pleurs, et, bravant le trépas,
A travers les Troyens précipite ses pas :

Ainsi lorsque les ans, ou les vents, ou les ondes,
D'un vieux roc ont miné les racines profondes,
Du penchant escarpé de ses antiques monts
Le rocher tombe, roule, et s'élance par bonds,
Il entraîne après lui rochers, troupeaux, étable:
Ainsi, renversant tout dans sa course indomptable,
Turnus vole à Laurente, aux lieux où le dieu Mars
Fait couler plus de sang, fait siffler plus de dards;
Commande à ses guerriers de la voix et du geste :
« Cessez, dit-il, cessez cette guerre funeste,

» Tout le sort des combats pèse aujourd'hui sur moi; » Lié par un traité, je dégage ma foi.

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>> Où mon rival est-il? » Il dit : on lui fait place, Et les rangs en s'ouvrant laissent un vaste espace.

Au seul nom de Turnus, Énée a tressailli;
De ce fameux combat d'avance enorgueilli,
De Laurente aussitôt il quitte les murailles.
Que lui font désormais les sièges, les batailles?
Il vole, il franchit tout d'un pas précipité:
Turnus seul est présent à son cœur irrité.
Il l'apperçoit, le brave, et, sûr de la victoire,
Semble encor s'agrandir à l'aspect de la gloire.
Avec moins de fierté s'élèvent jusqu'aux cieux
Le sourcilleux Éryx, l'Athos audacieux;
Avec moins de grandeur l'Apennin se présente,
Quand sur les vieux glaçons de sa cime imposante,
Superbe, il s'applaudit de ses bois toujours verts,
Et porte jusqu'aux cieux le trône des hivers.
Les Troyens, les Latins, que ce spectacle assemble,
Assiégeans, assiégés, tout regarde, tout tremble:
Tranquilles spectateurs, leurs bras sont désarmés.
Latinus, à l'aspect de ces chefs renommés,

Qui si loin l'un de l'autre ont reçu la naissance,
S'étonne de les voir, émules de vaillance,
Entre deux camps oisifs se combattre en ce jour,
Et lutter pour la gloire et l'empire et l'amour.

A peine on a fait place à ce couple intrépide, L'un sur l'autre à l'instant fondant d'un pas rapide,

De loin ils font voler d'énormes javelots;
Bientôt du choc affreux gémissent les échos;
Tous deux avec fureur s'attaquent, se répondent;
L'adresse, le hasard, la valeur, se confondent;
Le fer croise le fer, les coups suivent les coups.
Tels, quand deux fiers taureaux, l'un de l'autre jaloux,
Sur le haut du Sila, du Taburne sauvage,
Enflammés par l'amour ou transportés de rage,
Disputent leur amante ou vengent leurs affronts;
Tous deux, avec fureur heurtant leurs larges fronts,
Se déchirent les flancs de leur corne sanglante;
Le pâtre est consterné, le troupeau s'épouvante,
Et la génisse attend dans un muet effroi
Quel sera le vainqueur, son époux et son roi;
Des bois, des monts lointains les échos retentissent:
Tels de ces deux rivaux les coups s'appesantissent;
Le choc des boucliers ébranle au loin les airs,
Et de l'acier tonnant jaillissent mille éclairs.

Alors le roi des dieux, pour peser ces puissances, Suspend également ses célestes balances :

Il y place leur sort, et, pour régler son choix,
De leurs destins divers interroge le poids.

Tout à coup Turnus vole, et, dans sa fougue altière
Se dressant, ramassant sa force tout entière,

A levé sur Énée un glaive audacieux :

Il frappe; les deux camps font retentir les cieux,

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