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Tous les cœurs sont saisis; mais le glaive perfide
Se brise, et de Turnus trahit l'attente avide;
Son cœur en a frémi : c'étoit fait de ses jours
S'il n'avoit de la fuite employé le secours;
Il fuit, mais, ô fureur! dans sa main indignée,
Du glaive malheureux l'inutile poignée
Montre à ses yeux un fer étranger à son bras.
On dit que sur son char s'élançant aux combats
Ce prince, au lieu du fer forgé par Vulcain même,
De son vieil écuyer, dans son ardeur extrême,
Avoit saisi le glaive, et long-temps dans ses mains
Cette arme épouvanta la foule des Troyens ;

Mais contre un fils des dieux, contre une arme céleste,
Quand de ce fer mortel il fit l'essai funeste,
Infidèle à sa gloire, infidèle à son bras,

Tel qu'un glaçon fragile il jaillit en éclats;
Son débris dispersé resplendit sur l'arène.
Alors, voyant sur lui fondre une mort certaine,
Turnus fuit, vient, revient, fait, refait cent détours;
D'un côté de Laurente il rencontre les tours,

De l'autre les Troyens, de l'autre un lac iminense.
Son rival, dont Vénus adoucit la souffrance,
Foible, se plaint encor d'un reste de langueur
Et ses genoux tremblans servent mal son grand cœur;
Pourtant il se ranime, il part, et son audace
De Turnus fugitif poursuit partout la trace,

Ses pieds touchent ses pieds, ses pas pressent ses pas.
Ainsi, lorsque du cerf poursuivant le trépas
Un chien tout haletant le relance dans l'onde,
Ou lorsque détournant sa course vagabonde
Une pourpre mobile épouvante ses yeux,
Effrayé tour à tour du piège insidieux,

Et du bord escarpé dont la hauteur l'arrête,
Le cerf en cent détours fuit la mort qui s'apprête;
Son ennemi, hâtant son barbare plaisir,

Court la gueule béante, et prêt à le saisir,

Rejoint et fait crier son double

rang d'ivoire; Le cerf vole et se rit de sa fausse victoire,

Et la dent qu'il évite, aussi prompt que l'éclair,

A cru mordre sa proie, et ne happe que

l'air;

Des chiens et des chasseurs les cris au loin résonnent,
Le rivage répond, l'eau frémit, les cieux tonnent:
Tel s'échappe Turnus; il fuit, et toutefois
Il appelle les siens, demande à haute voix
Ce fer, ce fer divin, sa défense ordinaire.
Son rival à grands cris s'oppose à sa prière,
Menace, si les siens volent à son secours,
D'exterminer la ville et d'embraser ses tours.
Ainsi tous deux venant, revenant sur leur trace,
Cinq fois du même cercle ont parcouru l'espace.
De foibles intérêts n'animent point leur cœur ;
Il s'agit de la vie, il s'agit de l'honneur.

Un hasard vient encor varier cette scène : Un olivier sauvage ombrageoit cette plaine; Faune le protégeoit; là, des flots écumans

Les nautonniers vainqueurs pendoient leurs vêtemens,
Et ces dons qu'ordonna leur pressante détresse
De leur crainte pieuse acquittoient la promesse ;
Mais, pour qu'un champ plus libre aux rivaux fût ouvert,
Sans respect du dieu Faune à qui l'arbre est offert,
Les Troyens en avoient délivré cet espace.
D'Énée en ce moment la lance le remplace,

Et, par son bras puissant avec force lancé,
Dans le pied du vieux tronc le fer reste enfoncé :
Il se courbe, il s'apprête à retirer sa lance;

Ce trait, mieux que son bras secondant sa vaillance,
Atteindra mieux Turmus. Turnus glacé d'effroi
S'écrie hors de lui-même: « Accours et sauve-moi,
» Dieu des pasteurs, et toi, bienfaisante Cybèle;
» Si Turnus en tous temps vous a marqué son zèle,
>> Retenez cette lance, et d'un peuple ememi
» Sauvez l'état, le roi, sa fille, et votre ami!»
Ses vœux sont entendus: en vain le bras d'Énée.
Sollicite vingt fois la racine obstinée;

Le fer inébranlable enfoncé dans son sein
Trompe ses vains efforts, et résiste à sa main.
Juturne l'apperçoit, et la même imposture
Du vieux Métisque encor lui rendant la figure

Elle vient de Turnus adoucir le malheur,
Et lui remet le fer qu'implore sa valeur.
Vénus de l'artifice a reconnu l'adresse ;
L'audace de la nymphe irrite la déesse ;
Elle court, et de l'arbre elle arrache le fer.
Alors d'un bras plus sûr, d'un courage plus fier,
Pour le fatal combat chaque rival s'avance,
L'un armé de son glaive, et l'autre de sa lance.
Sur un nuage d'or Junon du haut des airs
Sur ces fameux rivaux tenoit les yeux ouverts:
« Chère épouse, lui dit le maître du tonnerre,
Quel terme mettez-vous à cette affreuse guerre?
» Vous connoissez l'arrêt par les destins rendu:
» Dans le palais des dieux Enée est attendu.

>>

Quel est donc votre espoir? dans quelle attente vaine » Sur le trône des airs veille encor votre haine?

>> Pourriez-vous, chère épouse, exiger qu'à mes yeux » Une mortelle main versât le sang des dieux? >> Deviez-vous, des vaincus rehaussant l'espérance, » Rendre à Turnus le fer qu'imploroit sa vengeance, » Vous, dis-je? ( car sans vous qu'auroit osé sa sœur?) » C'en est trop, laissez-moi fléchir votre rigueur; >> Trop long-temps de la haine épuisant l'amertume >> Votre douleur chagrine en secret vous consume: >> Ouvrez-moi donc votre ame, et qu'un besoin plus doux Épanche votre cœur dans le cœur d'un époux.

Oui, les temps sont venus: sur les mers, sur la terre » Votre haine aux Troyens a pu livrer la guerre, >> D'une longue discorde allumer les flambeaux,

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Changer l'hymen en deuil, les palais en tombeaux; » Mais, je le veux, là doit s'arrêter votre haine. » Il dit : des immortels l'auguste souveraine Lui répond en ces mots d'un air triste et soumis : « Non, je n'ai rien tenté que vous n'ayez permis; >> Sitôt que l'a voulu le maître du tonnerre, » J'ai délaissé Turnus, et j'ai quitté la terre, » A vos ordres enfin j'ai souscrit malgré moi; » Sans ce respect profond dont je me fais la loi, >> Vous ne me verriez pas seule sur ces nuages

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Spectatrice immobile endurer tant d'outrages; >> Le fer, la flamme en main, contre ce peuple errant >> Vous me verriez encor combattre au premier rang. » J'ai voulu, j'en conviens, qu'à son malheureux frère >> Juturne allât prêter une main tutélaire;

>> Si cette nymphe osa blesser un demi-dieu,
» Ce fut sans mon secours, ce fut sans mon aveu:
» J'en jure par le Styx, ce fleuve inexorable,
» Aux célestes pouvoirs seul pouvoir redoutable.
>> C'en est fait au Destin je ne résiste plus,
» J'abjure dès ce jour des combats superflus;
» Mais ce que vos décrets permettent que j'espère
» Ne le refusez pas à ma juste prière,

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