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Junon est dans une situation désespérée; elle prend un ton affable et persuasif; elle pardonne à la nymphe d'avoir partagé la couche parjure de Jupiter, Jovis ingratum ascendere cubile. Le mot ingratum est très-expressif en cette occasion, il montre toute la jalousie de Junon, jusque dans les expressions de sa bonté pour Juturne. Cette déesse. se trouve à peu près dans la mème situation au quatrième livre des Argonautes : elle implore le secours de Thétis mais elle lui tient un langage différent : « Je vous ai aimée, » lui dit-elle, plus que toutes les autres divinités de la mer, .» parce que vous n'avez pas voulu vous rendre desir's de Jupiter, toujours prêt à séduire les déesses et les mor

» telles. »

aux

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La violence que Junon fait à son caractère dans ce passage de l'Énéide suffit pour peindre son désespoir; et le poëte ajoute le dernier trait au tableau, en faisant dire cette déesse qu'elle ne peut supporter la vue du combat qui s'apprête; non pugnam adspicere hanc oculis. Dans le troisième livre de l'Iliade, Vénus s'éloigne de même du champ de bataille, disant qu'elle ne peut voir combattre Pàris avec Ménélas: cette crainte est naturelle dans la déesse des Amours; mais elle est plus digne de remarque dans l'implacable Junon; et la foiblesse que la reine des dieux montre en cette circonstance est plus propre à faire naître la surprise que tout l'éclat de la puissance divine.

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At pius Æneas dextram tendebat inermem,

Nudato capite, atque suos clamore vocabat...

La fortune change, et les destins sont sur le point de changer avec elle. Tendant une main désarmée, et la tête nue, le héros troyen appelle les siens à son secours : la bles

sure qu'il reçoit lui donne un grand intérêt. Personne néanmoins ne pourra se flatter d'un tel exploit; aucun guerrier ue pourra se vanter d'avoir blessé le fils des dieux. Virgile laisse croire que son héros n'a pu être atteint que par une divinité cachée. Plusieurs grands hommes de l'antiquité, Alexandre, Marcellus et quelques autres, ont été de mème blessés sur le champ de bataille, et les historiens n'ont pas manqué de dire que les auteurs d'un tel exploit étoient. restés inconnus.

Le poëte profite adroitement de la circonstance de la blessure d'Énée pour relever le courage de Turnus:

Qualis apud gelidi quum flumina concitus Hebri Sanguineus Mavors clypeo increpat, atque furentes Bella movens immittit equos: illi æquore aperto etc. Il est impossible de trouver rien de plus achevé que ce tableau. Virgile a imité ici deux passages d'Homère : dans le septième livre de l'Iliade, Ajax s'avance dans la lice, tel que le dieu Mars, lorsqu'il va rejoindre les combattans que Jupiter a livrés aux fureurs de la discorde dévorante; dans le onzième livre, Hector frappe du fouet retentissant ses coursiers superbes ; ils l'entendent, et foulant aux pieds les armes ils emportent le rapide char entre les Troyens et les Grecs ; l'essieu, ainsi que le haut du char, est tout souillé du sang que font jaillir les chevaux et les cercles roulans des roues. Dans sa première description, le poëte grec se contente de parler du formidable Mars, qui s'avance au combat. Cette image est vague, et ne laisse aucune impression dans l'esprit du lecteur. Le poëte latin, au contraire, commence par peindre le lieu de la scène c'est dans la Thrace, dont il est le dieu, que Mars se montre

dans tout son appareil : l'attitude formidable de ce dieu est ensuite caractérisée par les images les plus imposantes ; Clypeo increpat (il frappe de son bouclier) atque furentes bella movens immittit equos (méditant les combats, il donne l'essor à ses coursiers frémissans.) La rapidité et le fracas des chevaux sont admirablement rendus dans les vers qui suivent; leur libre essor est trèsbien exprimé par ces mots æquore aperto. Les derniers confins de la Thrace qui retentissent du bruit de leurs pas, présentent une image sublime: on reconnoît à ce trait la démarche et la puissance d'un dieu. Cet admirable tableau est completté par l'horrible cortège qui suit le char de Mars; la crainte, la fureur, les embûches, sont les compagnes de ce dieu formidable. Rien de tout cela ne se trouve dans Homère. Les images que le poëte grec emploie pour peindre la fureur d'Hector, quoiqu'elles soient moins vagues et mieux développées, n'ont pas la vivacité et l'énergie de celles dont Virgile s'est servi pour faire connoître l'impétuosité de Turnus: Hector frappe du fouet retentissant ses coursiers superbes; ces mots n'expriment ni l'action du guerrier, ni celle des chevaux. Virgile a exprimé l'une et l'autre par un seul trait: fumantes sudore quatit. Dans Homère, les coursiers se précipitent vers le champ de bataille: dans Virgile ils y sont déjà ; ils sont couverts de sueur ; le sang jaillit sur leurs pas, et l'arêne sanglante est foulée par le char qu'ils emportent à travers les combats. Tout cela arrive dans le même instant. Le poëte, en parlant du sang jaillissant sous les pas des chevaux, n'emploie que des syllabes qui semblent voler avec le char de Turnus: spargit rapida ungula rores sanguineos. Pour peindre l'arêne

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sanglante qui est foulée par les roues, il emploie des expressions plus dures et plus difficiles à prononcer. Les mots cruor calcatur ont un son imitatif, et rendent trèsbe à l'oreille l'effet du sable ensanglanté qui retentit sous i une roue. Turnus insulte aux ennemis tués sur le champ de bataille ; et cette vaine bravade caractérise heureusement le curage de Turnus, qui tient plus de la fureur que de l'hé- roïsine.

Milton a représenté la marche guerrière du fils de Dieu dans le sixième livre du Paradis perdu (*). Ce sujet exigeoit *sans doute d'autres couleurs que celles d'Homère et de Virgile; cependant ces passages ont entr'eux assez de rapports pour qu'on puisse les comparer:

La troisième aube à peinc cut argenté les cieux,
Soudain, pareil au bruit de l'ouragan fougueux,
Terrible, impatient de voler à la gloire,
Sort le char paternel, le char de la victoire ;
Sans l'aide des coursiers, par un secret pouvoir,
De lui-même ce char apprit à se mouvoir;
Quatre fiers chérubins, aux ailes éclatantes,
Dont chacun offre à l'oeil quatre faces brillantes,
Ont volé devant lui; leurs ailes ont des yeux
Dont l'éclat défiroit les globes radieux.

Il monte sur son char: là, déployant ces ailes
Sur qui l'aigle s'élance' aux voûtes éternelles,
La Victoire est assise à la droite de Dieu.
-Plein des traits du tonnerre et de flèches de feu,
Sur lui pend son carquois; de la nuit enflammée
Autour de lui s'élève une épaisse funiée,

(*) La traduction de ce poëme paroîtra en janvier 1805.

Il vient, il vole, il fend l'immensité des cieux.
De son armée à peine il a frappé les yeux,

Tous, ivres des transports que son aspect fait naître,
Ont senti sa présence et reconnu leur maître.

Ille, ut depositi proferret fata parentis,
Scire potestates herbarum...

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Iapis avoit le choix de la lyre et de la médecine ; et le motif de sa préférence le rend très-intéressant. C'est pour veiller à la conservation de son père qu'il a refusé tous les talens agréables; il a préféré aux bienfaits d'Apollon la médecine qui ne lui promettoit aucune gloire. On sait que chez les Romains cette science étoit peu considérée, et qu'elle étoit abandonnée à des esclaves; ce qui rend le dévouement d'lapis encore plus admirable. Le docteur Atterbury a fait un commentaire de plusieurs pages, pour démontrer que le poêle a voulu représenter dans ce portrait le célèbre Musa, dont les connoissances en médecine avoient été si utiles à Auguste, à Horace et à Virgile lui-même. Cela paroît assez vraisemblable pour qu'on puisse se dispenser de le prouver aussi longuement.

Le Tasse, dont le sujet ressemble beaucoup à celui d'Homère, a pris le plan du poëte grec ; mais il a emprunté presque tous ses détails de Virgile; il n'a pas négligé l'intéressant Iapis, qu'il a représenté dans le vieil Hérotime. Favori des muses, Hérotime pouvoit chanter les héros et leurs exploits mais il aima mieux se consacrer à une science plus obscure; il ne s'occupa qu'à dérober les humains au trépás.

Godefroi a été blessé sur le champ de bataille ; Hérotime emploie toutes les ressources de son art, mais ses vœux et

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