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celles d'une seule nation. Cependant le dessein du poète anglais a de l'audace et de la grandeur; mais son génie, affoibli dans ses derniers chants, ne peut plus soutenir le poids et la majesté de son sujet., De tous les imitateurs du poëte latin, Voltaire a été sans doute le plus heureux ; il a eu l'avantage de peindre l'époque la plus mémorable de l'esprit humain, et son style a souvent tout l'éclat de la cour de Louis XIV.

Quis Gracchi genus? aut geminos, duo fulmina belli,
Scipiadas, cladem Libya? parvoque potentem

Fabricium?

Dans cette longue galerie de grands hommes qu'il fait passer sous nos yeux, Virgile a soin de ne prendre que le trait le plus important de leur caractère et de leur vie : s'il pas gardé cette mesure, il eût tout refroidi. La famille des Gracques, les Scipions, les Fabricius, n'occupent que trois vers; mais d'un mot il donne une grande idée de ces illustres Romains.

n'eût

Voltaire s'est conformé à cette sage précision :

A travers mille feux je vois Condé paroître,
Tour à tour la terreur et l'appui de son maître;
Turenne, de Condé le généreux rival,

Moins brillant, mais plus sage, et du moins son égal.

Virgile ne dessine avec plus de détail que les figures principales de son tableau, celles de Romulus, de César, d'Auguste et de Marcellus. Voltaire aussi ne s'étend que sur Richelieu, Louis XIV, le duc de Bourgogne et le jeune Louis XV.

Sunt gemine Somni portæ ; quarum altera fertur
Cornea, quâ veris facilis datur exitus umbris:
Altera, candenti perfecta nitens elephanto;
Sed falsa ad coelum mittunt insomnia Manes.

Ces deux portes du sommeil, par où s'échappent les songes faux et véritables, ont fort embarrassé les commentateurs. Pourquoi, ont-ils dit, Virgile ramène-t-il Énée par cette

porte d'ivoire d'où sortent les souges trompeurs, fulsa insomnia? Il seroit possible de répondre, avec le père Larue, que Virgile, par cette espèce d'allégorie imitée d'Homère, veut indiquer en passant que sa raison n'admet point tout ce qu'a décrit son imagination. L'avis de Larue est peut-être mème justifié par ces vers des Géorgiques:

Felix qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes et inexorabile fatum

Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari!

Virgile ne seroit pas le seul écrivain illustre qui eût rejeté comme philosophe des opinions qu'il eût adoptées comme poëte; mais je crois qu'ici cette contradiction entre le philosophe et le poëte n'existe pas. Le goût et le jugement de Virgile se montrent dans ce passage comme dans tous les autres. Il vivoit dans un siècle où la puissance des opinions religieuses étoit fort affoiblie: le père d'Auguste, César, avoit dit en plein sénat qu'il n'y avoit rien après la mort. Dans un siècle où les croyances nationales étoient attaquées comme dans le nôtre, il falloit en composant une épopée réunir le merveilleux et le vraisemblable pour satisfaire à la fois le peuple et le philosophe. Énée trouve à l'entrée des enfers le sommeil et les songes :

Quam sedem Somnia vulgò

Vana tenere ferunt...

Il sort par la porte des illusions. C'est donc en quelque sorte dans un songe mystérieux qu'il voit tout ce qui se passe en réalité dans les Enfers et dans l'Élysée. Cette heureuse idée satisfait également la raison et l'imagination. C'est ainsi que dans la Henriade saint Louis fait descendre les songes autour de Henri IV ayant de lui faire voir les cieux et sa postérité.

OXFOR

LIVRE SEPTIÈME.

Er toi, de mon héros nourrice bien aimée,
De nos bords, en mourant, tu fis la renommée,
O Caïète! et ton nom protège ton cercueil
Que l'antique Hespérie honore avec orgueil.
Sitôt qu'à ce tombeau, dont nos bords se font gloire,
Il a par un saint culte honoré sa mémoire,

Le héros part, fend l'onde, et s'éloigne du port.
Pour lui la mer, les vents et les cieux sont d'accord;
Et, pour guider son cours, la lune complaisante
Éclaire au loin les eaux de sa clarté tremblante.
Il vole, il voit déjà le trop fameux séjour
Où la belle Circé, fille du dieu du jour,
Modulant avec art sa voix mélodieuse,
Charme de ses doux sons son île insidieuse;
Tantôt dans son palais, où des bois précieux
Prodiguent dans la nuit leurs parfums et leurs feux,
D'un tissu varié, doux charme de ses veilles,
Ourdit d'un doigt léger les brillantes merveilles.
Là grondent renfermés, et de rage écumans,
Tous ces monstres créés par ses enchantemnens,

Qui, d'hommes qu'ils étoient, changés en ours informes,
En lions menaçans, en sangliers énormes,
S'irritent dans la nuit, et, secouant leurs fers,
De leurs longs hurlemens épouvantent les airs.
Craignant ce sort affreux pour les enfans de Troie,
Le dieu des mers lui-même à l'instant leur envoie
Un vent qui les enlève à ces bords dangereux;
Et l'île et ses rochers ont déjà fui loin d'eux.

Le jour suivant à peine a commencé d'éclore,
L'onde à peine rougit des rayons de l'aurore,
Tout à coup l'air se tait, le vent meurt, le flot dort:
Aussitôt les nochers ont redoublé d'effort;
Tous ont pris l'aviron, et de l'onde immobile
Fatiguent à l'envi la paresse indocile.
Énée alors découvre un bois vaste et riant;
Le Tibre le partage, et son onde en fuyant
Dans la profonde mer rapidement entraîne
Le cristal de ses eaux et l'or de son arène.
Mille oiseaux différens de plumage et de voix,
Amoureux de ce fleuve, élèves de ces bois,

De rameaux en rameaux courant,

volant sans cesse,

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Charmoient de leurs doux sons la rive enchanteresse.

Là le héros aborde, et l'onde et les oiseaux

Semblent de leur doux bruit saluer ses vaisseaux.

O Muse! c'est à toi maintenant de me dire

Quel du vieux Latium étoit le vaste empire,

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