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Vous verrez tous Au seul mot de

les jours le chanoine insolent, hibou, vous sourire en parlant. Votre âme, à ce penser, de colère murmure;

Allez donc de ce pas en prévenir l'injure; Méritez les lauriers qui vous sont reservés,

Et ressouvenez-vous quel prélat vous servez. Mais déjà la fureur dans vos yeux étincelle. Marchez, courez, volez où l'honneur vous appelle. Que le prélat, surpris d'un changement si prompt, Apprenne la vengeance aussitôt que l'affront.

En achevant ces mots, la déesse guerrière

De son pied trace en l'air un sillon de lumière,

Rend aux trois champions leur intrépidité, Et les laisse tout pleins de sa divinité. C'est ainsi, grand Condé, qu'en ce combat célèbre1

Où ton bras fit trembler le Rhin, l'Escaut, et l'Ebre, Lorsqu'aux plaines de Lens nos bataillons poussés

Furent presque à tes yeux ouverts et renversés,

Ta valeur, arrêtant les troupes fugitives, Rallia d'un regard leurs cohortes craintives, Répandit dans leurs rangs ton esprit belli

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La colère à l'instant succédant à la crainte, Ils rallument le feu de leur bougie éteinte. Ils rentrent; l'oiseau sort: l'escadron raffermi

Rit du honteux départ d'un si faible ennemi. Aussitôt dans le chœur la machine emportée

Est sur le banc du chantre à grand bruit remontée.

Ses ais demi-pourris, que l'âge a relâchés, Sont à coups de maillet unis et rapprochés.

Sous les coups redoublés tous les bancs retentissent;

Les murs en sont émus, les voûtes en mugissent,

Et l'orgue même en pousse un long gémis

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ton banc la machine enclavée

Est, durant ton sommeil, à ta honte élevée. Le sacristain achève en deux coups de rabot,

Et le pupitre enfin tourne sur son pivot.

Chant IV.

Les cloches dans les airs, de leurs voix argentines, Appelaient à grand bruit les chantres à matines,

Quand leur chef,' agité d'un sommeil effrayant,

Encor tout en sueur, se réveille en criant. Aux élans redoublés de sa voix douloureuse,

Tous ses valets tremblants quittent la plume oiseuse:

Le vigilant Girot2 court à lui le premier. C'est d'un maître si saint le plus digne officier;

1 Le chantre.

2 Son véritable nom était Brunot.

La porte dans le chœur à sa garde est | Et, hâtant de ses ans l'importune langueur, Court, vole, et le premier arrive dans le chœur.

commise:

Valet souple au logis, fier huissier à l'église. Quel chagrin, lui dit-il, trouble votre

sommeil ? Quoi! voulez-vous au chœur prévenir le soleil ?

Ah! dormez; et laissez à des chantres vulgaires,

Le soin d'aller sitôt mériter leurs salaires. Ami, lui dit le chantre, encor pâle d'hor

reur,

N'insulte point, de grâce, à ma juste terreur: Mêle plutôt ici tes soupirs à mes plaintes, Et tremble en écoutant le sujet de mes craintes.

Pour la seconde fois un sommeil gracieux Avait sous ses pavots appesanti mes yeux, Quand l'esprit enivré d'une douce fumée J'ai cru remplir au chœur ma place accoutumée.

Là, triomphant aux yeux des chantres impuissants,

Je bénissais le peuple et j'avalais l'encens, Lorsque, du fond caché de notre sacristie, Une épaisse nuée à longs flots est sortie, Qui, s'ouvrant à mes yeux dans son bleuâtre éclat,

M'a fait voir un serpent conduit par le prélat.

Du corps de ce dragon plein de soufre et de nitre,

Une tête sortait en forme de pupitre,
Dont le triangle affreux tout hérissé de

crins, Surpassait en grosseur nos plus épais lutrins.

Animé par son guide, en sifflant il s'avance: Contre moi sur mon banc, je le vois qui s'élance.

J'ai crié, mais en vain: et, fuyant sa fureur, Je me suis réveillé plein de trouble et d'horreur.

Le chantre s'arrêtant à cet endroit funeste
A ses yeux effrayés laisse dire le reste.
Girot en vain l'assure, et, riant de sa peur,
Nomme sa vision l'effet d'une vapeur.
Le désolé vieillard, qui hait la raillerie,
Lui défend de parler, sort du lit en furie.
On apporte à l'instant ses somptueux ha-
bits,

Où sur l'ouate molle éclate le tabis.
D'une longue soutane il endosse la moire,
Prend ses gants violets, les marques de sa
gloire,

Et saisit, en pleurant, ce rochet qu'autrefois Le prélat trop jaloux lui rogna de trois doigts.

Aussitôt d'un bonnet ornant sa tête grise, Déjà l'aumusse en main il marche vers l'église,

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nissante,

Périssons, s'il le faut: mais de ses ais brisés | Je vous ai vu cent fois, sous sa main bé-
Entraînons, en mourant, les restes divisés.
A ces mots, d'une main par la rage af-
fermie,

Il saisissait déjà la machine ennemie, Lorsqu'en ce sacré lieu, par un heureux hasard,

Entrent Jean le choriste, et le sonneur Girard,

Qui de tout temps pour lui brûlant d'un même zèle,

Gardent pour le prélat une haine fidèle. A l'aspect du lutrin tous deux tremblent d'horreur.

Du vieillard toutefois ils blâment la fureur. Abattons, disent-ils, la superbe machine: Mais ne nous chargeons pas tous seuls de sa ruine;

Et que tantôt, aux yeux du chapitre assemblé,

Il soit sous trente mains en plein jour accablé.

Ces mots des mains du chantre arrachent le pupitre. J'y consens, leur dit-il, assemblons le chapitre. Sus donc, allez tous deux, par de saints hurlements,

Réveiller de ce pas les chanoines dormants. Partez. Mais à ce mot, les champions pâlissent:

De l'horreur du péril leurs courages fré

missent.

Ah! seigneur, dit Girard, que nous demandez-vous?

De grâce, modérez un aveugle courroux. Nous pourrions réveiller des chantres et des moines;

Mais même avant l'aurore éveiller des chanoines!

Qui jamais l'entreprit? Qui l'oserait tenter? Est-ce un projet, ô ciel! qu'on puisse exécuter?

Hé! seigneur, quand nos cris pourraient, du fond des rues, De leurs appartements percer les avenues, Appeler ces valets autour d'eux étendus, De leur sacré repos ministres assidus, Et pénétrer des lits au bruit inaccessibles; Pensez-vous, au moment que ces dormeurs paisibles

De la tête une fois pressent un oreiller, Que la voix d'un mortel puisse les réveiller? Deux chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous plaire,'

Ce que depuis trente ans six cloches n'ont pu faire?

Ah! je vois bien où tend tout ce discours trompeur, Reprend le chaud vieillard, le prélat vous fait peur.

Courber servilement une épaule tremblante. Hé bien, allez, sous lui fléchissez les ge

noux.

Je saurai réveiller les chanoines sans vous. Viens, Girot, seul ami qui me reste fidèle: Prenons du saint jeudí la bruyante crécelle.'

Suis-moi. Qu'à son lever le soleil aujourd'hui

Trouve tout le chapitre éveillé devant lui. Il dit. Du fond poudreux d'une armoire sacrée

Par les mains de Girot la crécelle est tirée. Ils sortent à l'instant, et par d'heureux efforts,

Du lugubre instrument font crier les ressorts, Pour augmenter l'effroi, la discorde infernale Monte dans le Palais, entre dans la grand' salle,

Et du fond et cet antre, au travers de la nuit,

Fait sortir le démon du tumulte et du bruit. Le quartier alarmé n'a plus d'yeux qui sommeillent.

Déjà de toutes parts les chanoines s'éveillent: L'un croit que le tonnerre est tombé sur les toits,

Et que l'église brûle une seconde fois;2 L'autre encore agité de vapeurs plus fu

nèbres

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Ce mot dans tous les cœurs répand la vigilance:

Tout s'ébranle, tout sort, tout marche en diligence.

Ils courent au chapitre, et chacun se pressant, Flatte d'un doux espoir son appétit nais

sant.

Mais, ô d'un déjeûner vaine et frivole attente!

A peine ils sont assis, que d'une voix do-
lente,
Le chantre désolé, lamentant son malheur,
Fait mourir l'appétit et naître la douleur.
Le seul chanoine Evrard d'abstinence in-

capable,

Ose encor proposer qu'on apporte la table. Mais il a beau presser, aucun ne lui répond.

Quand le premier rompant ce silence profond, Alain tousse et se lève; Alain, ce savant

homme, Qui de Bauny1 vingt fois a lu toute la Somme, Qui possède Abély, qui sait tout Raconis,2 Et même entend, dit-on, le Latin d'AKempis.

N'en doutez point, leur dit ce savant canoniste, Ce coup part, j'en suis sûr, d'une main janséniste, Mes yeux en sont témoins: j'ai vu moimême hier

Entrer chez le prélat le chapelain Garnier. Arnaud, cet hérétique ardent à nous détruire,

Par ce ministre adroit tente de le séduire. Sans doute il aura lu dans son saint Augustin

Qu'autrefois Saint Louis érigea ce lutrin. Il va nous inonder des torrents de sa plume. Il faut, pour lui répondre, ouvrir plus d'un volume.

Consultons sur ce point quelque auteur signalé. parlé.

Voyons, si des lutrins Bauny n'a point

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Étudions enfin, il en est temps encore, Et pour ce grand projet, tantôt, dès que A ce terrible objet aucun d'eux ne conl'Aurore.

Rallumera le jour dans l'onde enseveli,
Que chacun prenne en main le moelleux

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yeux.

sulte:

multe;

Sur l'ennemi commun ils fondent en tu

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Tel sur les monts glacés des farouches Gélons 1

Tombe un chêne battu des voisins aquilons;

Ou tel, abandonné de ses poutres usées, Fond enfin un vieux toit sous ses tuiles brisées.

La masse est emportée, et ses ais arrachés Sont aux yeux des mortels chez le chantre cachés.

Chant V.

L'Aurore cependant, d'un juste effroi troublée, Des chanoines levés voit la troupe assemblée,

Et contemple longtemps, avec des yeux confus,

Ces visages fleuris qu'elle n'a jamais vus. Chez Sidrac aussitôt, Brontin, d'un pied fidèle,

Du pupitre abattu va porter la nouvelle. Le vieillard de ses soins bénit l'heureux succès,

Et sur un bois détruit bâtit mille procès. L'espoir d'un doux tumulte échauffant son courage,

Il ne sent plus le poids ni les glaces de l'âge; Et chez le trésorier, de ce pas, à grand bruit,

Vient étaler au jour les crimes de la nuit. Au récit imprévu de l'horrible insolence, Le prélat hors du lit, impétueux, s'élance. Vainement d'un breuvage à deux mains apporté

Gilotin, avant tout, le veut voir humecté: Il veut partir à jeun. Il se peigne, il s'apprête; L'ivoire trop hâté deux fois rompt sur sa tête,

Et deux fois de sa main le buis tombe en morceaux:

Tel Hercule filant rompait tous les fuseaux, Ils sort demi paré. Mais déjà sur sa porte

Il voit de saints guerriers une ardente cohorte,

Qui tous, remplis pour lui d'une égale vi

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Il dit: à ce conseil, où la raison domine, Sur ses pas au barreau la troupe s'achemine, Est bientôt dans le temple, entend, non sans frémir,

De l'autre redouté les soupiraux gémir. Entre ces vieux appuis, dont l'affreuse grand' salle Soutient l'énorme poids de sa voûte infernale,

Est un pilier fameux des plaideurs respecté,1 Et toujours de Normands à midi fréquenté, Là, sur des tas poudreux de sacs et de pratique,

Hurle tous les matins une Sibylle étique: On l'appelle Chicane, et ce monstre, odieux Jamais pour l'équité n'eut d'oreilles ni d'yeux.

La Disette au teint blême, et la triste Famine,

Les Chagrins dévorants, et l'infame Ruine, Enfants infortunés de ses raffinements, Troublent l'air d'alentour de longs gémisse

ments.

Sans cesse feuilletant les lois et la coutume, Pour consumer autrui, le monstre se con

sume:

Et dévorant maisons, palais, châteaux entiers, Rend pour des monceaux d'or de vains tas de papiers.

Sous le coupable effort de sa noire insolence,

Thémis a vu cent fois chanceler sa balance Incessamment il va de détour en détour; Comme un hibou, souvent il se dérobe au jour: Tantôt les yeux en feu c'est un lion superbe; Tantôt, humble serpent, il se glisse sous l'herbe.

En vain, pour le dompter, le plus juste des rois

Fit régler le chaos des ténébreuses lois: Ses griffes vainement par Pussort accour

cies,

Se rallongent déjà, toujours d'encre noircies, Et ses ruses perçant et digues et remparts, Par cent brèches déjà rentrent de toutes parts.

Le vieillard, humblement l'aborde et la salue;

Et faisant, avant tout, briller l'or à sa vue: Reine des longs procès, dit-il, dont le savoir

Rend la force inutile et les lois sans pouvoir;

1 Le pilier des consultations.

2 M. Pussort, conseiller d'Etat, est celui qui a le plus contribué aux ordonnances de 1667 et 1670 sur les procédures civile et criminelle.

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