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célébrer le bonheur et la simplicité des champs. Virgile paroît exprimer ici ses propres sentimens autant que ceux d'Évandre; et, si Auguste l'avoit visité dans sa modeste retraite, il lui auroit sans doute adressé ces paroles touchantes: Aude, hospes, contemnere opes. Fénelon ne se lassoit point d'admirer ce passage. « La honteuse lâcheté » de nos mœurs, dit-il dans sa quatrième lettre à l'académie, » nous empêche de lever les yeux pour admirer ces paroles: » aude, hospes, contemnere opes. » Nous partageons l'admiration de Fénélon; mais nous n'osons pas insister sur la beauté de ces sentimens de Virgile. Si la corruption des mœurs, au siècle de Louis XIV, rendoit les cœurs insensibles à la noble pauvreté d'Évandre, il n'est que trop certain qu'on n'en sera point touché aujourd'hui.

Nox ruit, et fuscis tellurem amplectitur alis.
At Venus haud animo nequidquam exterrita mater,
Laurentumque minis et duro mota tumultu,
Vulcanum alloquitur, thalamoque hæc conjugis aureo
Incipit, et dictis divinum adspirat amorem... !

T

un bouclier

On ne sauroit trop admirer l'art avec lequel le poëte profite de l'intervalle de la nuit et du sommeil pour faire reparoître Vénus, et pour lui faire obtenir de Vulcain pour Énée. Les affaires importantes qui se traitent entre Evandre et le héros troyen sont ainsi racontées sans interruption. Aucun moment n'est perdu; lorsque tous les personnages de cette scène reposent dans le sein du sommeil, lorsque le poëte par conséquent n'a plus à parler de leurs actions, c'est alors qu'il a recours au merveilleux, et fait intervenir

l'épouse de Vulcain, qui prépare à son fils les moyens de mettre à profit l'alliance qu'il vient de faire.

Ergo eadem supplex venio, et sanctum mihi numen
Arma rogo genetrix nato, etc.

Quelques commentateurs ont trouvé de l'inconvenance dans ce passage; ils se sont étonnés que Vénus osât prier Vulcain de fabriquer un bouclier pour son fils illégitime : Vulcain a laissé périr son fils Cacus sous la massue d'Hercule, et il va donner des armes à Énée dont la naissance est un outrage pour son hymen. Montaigne se réunit aux censeurs ; il pense que Vénus ne parle point et n'agit point comme une épouse doit parler et agir. Il faudroit connoître à fond les systèmes des anciens sur leurs divinités, pour oser décider cette question ; mais ce qui prouve que l'antiquité pensoit autrement que nous sur plusieurs points, c'est que ce morceau blamé par quelques modernes, étoit admiré comme un modèle de décence. « Annianus et plusieurs autres poëtes, dit Aulu» Gelle, ne pouvoient se lasser d'admirer et de louer l'adroite >> retenue de Virgile, qui, ayant à peindre Vénus et son époux » dans le lit conjugal, a eu soin de respecter le voile d'hon» nêteté que la nature étend sur ses mystères, et de n'employer que les expressions sages que la pudeur peut avouer » sans rougir. » Voici ces vers:

מ

Ea verba locutus,

Optatos dedit amplexus, placidumque peétivit

Conjugis infusus gremio per membra soporem na obespar

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Ces illustres litterateurs, ajoute Aulu-Gelle, pensoient

qu'il avoit été beaucoup moins difficile à Homère, en pareille >> circonstance, de n'employer qu'une phrase courte et très» peu de mots, lorsqu'il dit en différentes occasions: la cein» ture virginale et les lois de l'hymen ; les œuvres de » l'amour; ils étoient couchés dans des lits suspendus. » Le seul pinceau de Virgile a osé présenter l'image plus » étendue ; seul, en n'employant que des couleurs pures et chastes, il indique les secrets de la couche des époux, sans >> blesser le respect et l'honnêteté qui y préside. »

Ce morceau renferme de très-grandes beautés. On a dejà parlé de la comparaison de la ménagère, qui respire la pudeur et l'innocence, et qui prouve que Virgile valoit beaucoup mieux que ses dieux. La comparaison de la flamme qui court dans les veines de Vulcain avec le feu du tonnerre qui sillonne les nuages n'est pas moins remarquable par l'image qu'elle présente que par la manière brillante dont elle est rendue. Les personnes les moins versées dans l'étude de la langue latine peuvent sentir l'harmonie imitative de ces où l'œil voit les efforts des Cyclopes, et où l'oreille entend le bruit qu'ils font :

vers,

Gemit impositis incudibus antrum.

Illi inter sese multâ vi brachia tollunt

In numerum, versantque tenaci forcipe massam.

L'admiration doit se partager ici entre la beauté de la versification et l'adresse merveilleuse que le poëte a mise dans la composition de cette partie de son poëme. Il fait res sortir son héros de la manière la plus ingénieuse et la plus frappante : la foudre de Jupiter, le chariot de Mars, l'égide de Minerve, sont commencés dans les forges de Vulcain;

mais tous ces travaux sont interrompus pour le bouclier d'Enée, arma acri facienda viro. Cet artifice du poëte latin est sublime; et c'est en cela que Virgile, qui a imité Homère, a de beaucoup surpassé son modèle.

Sed tibi ego ingentes populos opulentaque regnis
Jungere castra paro: quam fors inopina salutem
Ostentat; fatis huc te poscentibus affers, etc.

Ce discours justifie pleinement Énée de tous les reproches qu'on pourroit lui faire. Le roi de Pallantée apprend au héros de Troie l'usurpation et les crimes du farouche Mézence; cet ennemi des dieux et des hommes a été chassé de l'Étrurie, et il s'est retiré chez Turnus qui protège tous ses forfaits. Le peuple étrurien est venu implorer les secours d'Évandre, il lui a offert la couronne, en le chargeant du soin de sa vengeance: mais Évandre est déjà glacé par l'âge; il ne peut accepter ce périlleux emploi, il le confie au héros troyen. Dès-lors la cause d'Évandre devient en quelque sorte celle d'Énée; tout l'intérêt qu'inspire le roi de Pallantée retombe nécessairement sur le prince étranger.

Tum pater Evandrus, dextram complexus euntis,
Hæret, inexpletum lacrymans, ac talia fatur :
O mihi præteritos referat si Juppiter annos!
Qualis eram, etc.

Ces adieux d'Évandre sont d'une éloquence noble à la fois et pathétique. Dans la première partie de son discours il regrette les beaux jours de sa jeunesse et de sa gloire. Si la glace de l'âge ne l'avoit pas affoibli, il auroit repoussé luimême les insultes de l'orgueilleux Mézence ; ce cruel tyran

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n'auroit pas impunément répandu tant de sang et dépeuplé tant de villes. Ici Évandre parle comme un vieux guerrier et comme un roi ; mais bientôt la nature reprend tous ses droits. Dans le reste de son discours il ne songe plus qu'à son fils; il pressent sou malheur, il semble prévoir la mort de son cher Pallas. Ce mouvement est très-attendrissant, et il prépare très-heureusement ce que le poëte va raconter dans les trois derniers livres; il fait desirer la chute de Mézence et la défaite de Turnus.

Ipse agmine Pallas

In medio, chlamyde et pictis conspectus in armis;
Qualis ubi oceani perfusus Lucifer undà,
Quem Venus ante alios astrorum diligit ignes,
Extulit os sacrum cœlo, tenebrasque resolvit.

Virgile n'a négligé dans ce bitième livre aucune occasion de faire remarquer Pallas, et d'intéresser à son sort: la coinparaison de ce jeune héros avec l'astre de Vénus est trèsgracieuse, et la muse du poëte semble avoir pris plaisir à en perfectionner jusqu'aux moindres détails. Les mots perfusus undá expriment bien la fraîcheur du matin, et la jeunesse du fils d'Évandre. Extulit os sacrum cœlo : l'astre de Vénus se montre bientôt au haut des cieux, et les ténèbres se dissipent devant lui. Ainsi Pallas se montre à la tête de ses troupes, et il voit s'ouvrir sur ses pas une carrière glorieuse.

Stant pavidæ in muris matres, oculisque sequuntur
Pulveream nubem, et fulgentes ære catervas.

Quel tableau touchant est renfermé dans ces deux vers! D'un côté, les jeunes guerriers qui marchent au combat

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