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rage sanguinaire de Philippe II ne décimait plus la population, ne montrait plus à la foule le catholicisme entre deux bourreaux, l'un portant le glaive et l'autre la torche homicide. On était loin toutefois de l'indulgence pour les opinions, qui s'établirait d'elle-mème et honorerait l'humanité, si la plupart des hommes n'étaient des brutes que la discussion fatigue, déconcerte, exaspère; vouloir les contraindre à penser, à faire usage de leurs cerveaux, quelle abomination! quel crime impardonnable! Aussi croit-on ne devoir rien ménager avec les novateurs : pour eux, toutes les lois divines et humaines sont suspendues. La routine a cela d'agréable qu'elle dispense de réfléchir, travail malsain qui affaiblit l'estomac. Les hérétiques flamands n'avaient donc pas le droit de se réunir, de prêcher, de célébrer la Pâque mystique, d'invoquer à leur manière le Rédempteur mort sur la croix. Ils tenaient par suite des assemblées secrètes, dans l'ombre et la solitude, où ils tremblaient devant la justice de Dieu et devant l'injustice des hommes. Quelquefois les ministres effrayés n'osaient remplir leurs fonctions. Ils craignaient sans cesse d'être dénoncés par la jalousie secrète de leurs domestiques ou trahis par leurs bavardages. En 1665, une servante nommée Marie la Hollandaise, qui avait entretenu pendant quelque temps leurs lieux de rendez-vous, ayant abjuré le calvinisme, la terreur des proscrits fut portée à son comble. Ils ne se réunirent plus deux fois de suite dans la même maison et redoublèrent de prudence. Jusqu'à la mort du grand peintre, son hôtel fut un des endroits où ils se rassemblèrent, pour tromper la haine de leurs persécuteurs. Jordaens soutenait leur coufortifiait leur résignation. Tous les ans on célébrait chez lui la Cène, et il y prenait part avec ferveur. Les

rage,

registres du consistoire de Brabant, nommé par métaphore la Montagne des Oliviers (Olyfberg), constatent ces faits, mentionnent le jour et l'heure de sa mort'.

Marinus, Pierre de Jode, et surtout Bolswert ont beaucoup gravé d'après ses toiles. Il a lui-même reproduit à l'eau-forte plusieurs de ses ouvrages, comme les Vendeurs chassés du temple, Jupiter et Io, Jupiter nourri par la chèvre Amalthée, une Descente de croix et autres compositions. Le travail de ces estampes est libre et animé on y retrouve les précieux caractères de ses peintures 2.

Jordaens put se divertir à son aise en parodiant la face humaine, ou plutôt en la copiant avec exactitude, car le grotesque abonde autour de nous, et l'idéal seul est rare il atteignit l'âge de 85 ans et mourut, le même jour que sa fille, de la maladie épidémique nommée la suette. On enterrait alors les protestants qui décédaient à Anvers, dans le cimetière des Gueux, près de la citadelle. L'intolérance catholique veillait aux portes de la funèbre enceinte; le mépris et la haine y poursuivaient la hardiesse du libre penseur jusque sous le froid manteau dont sa dépouille était couverte. Le nom même de ce champ maudit ne renfermait-il pas une insulte? La famille des riches calvinistes transportait donc leur

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... Octob. is gestorve constrijcke schilder Jordaens, ten..... ure, en twe ure de selve nacht sijn dochter Elisabet Jordaens.

Pour les détails, voyez la notice de M. Génard.

2 Croirait-on que le prudent Immerzeel s'est laissé duper par le livre apocryphe de Boussard? Il rapporte une prétendue opinion de Rubens sur Jordaens, tirée de cette correspondance imaginaire entre Pierre-Paul et un abbé fictif. Voyez ce que nous en avons dit plus haut, page 192.

3 Jordaens a formé plusieurs élèves, parmi lesquels on remarque Jean van Bockhorst, né à Munster, Van der Koogen, né à Harlem, et Henri Berckmans,

corps au delà des frontières, dans le bourg de Putte, le lieu le plus rapproché de leur ville natale. Là du moins on pouvait leur construire une tombe, et leur mémoire était à l'abri des outrages. L'élève de Rubens y fut inhumé. Après quoi ses parents l'oublièrent, et la nature acheva de dissoudre ses restes, pendant que la postérité ne songeait qu'à ses tableaux. La chapelle même où l'on invoquait Dieu pour les morts, tomba en ruines; on la démolit dans le courant de l'année 1809, et des pierres éparses témoignèrent seules qu'une population proscrite avait cherché sous ses murs la paix du Seigneur. Le lichen et la mousse rongeaient tranquillement les épitaphes.

Vingt années se passèrent, au bout desquelles le hasard voulut qu'un négociant d'Anvers fût conduit sur ce terrain abandonné. Il examinait les mélancoliques débris, lorsqu'une pierre sépulcrale, placée près d'un chemin, frappa ses regards. Quelque lourd chariot avait rompu un de ses angles. La curiosité poussa le marchand à lire l'inscription funéraire; elle disait dans la langue des Pays-Bas :

Ici reposent

Jacques Jordaens, peintre,

mort à Anvers

le 18 octobre 1678,

et

l'honorable Catherine van Oort,

sa femme,

morte le 17 avril 1659,
et

demoiselle Elisabeth Jordaens,
leur fille,

morte le 18 octobre 1678.

Le Christ est l'espérance de notre salut.

Le promeneur instruisit de sa découverte un auteur

respectable, M. Cornelissen, qui en fit le sujet d'un

article. On grava un dessin de la pierre et ce fut tout. Le gouvernement belge laissa la tombe illustre à l'indigne place où l'avait reléguée le sort la cendre de l'artiste demeura sur la terre étrangère. Qu'importent en effet les souvenirs de la patrie? Qu'importent les hommes prédestinés, qui lui attirent le respect des nations? Le mnium continua d'envahir la dalle funèbre; le murmure de la bise, les froides pluies du nord tinrent lieu au grand peintre de suprèmes honneurs.

Pendant une douzaine d'années encore, l'humble monument resta ainsi abandonné. Les roues des voitures, les pieds des chevaux, le caprice d'un rustre pouvaient l'anéantir d'un moment à l'autre. Cette négligence impie émut enfin le roi de Hollande, Guillaume II : il fit restaurer la sépulture et l'environna d'une grille, qui la protége contre les accidents, contre l'ignorance des campagnards et les goûts destructeurs des écoliers.

Messager des Arts et des Sciences, année 1833.

CHAPITRE XI.

François Snyders.

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L'ar

Laconisme des historiens flamands et hollandais de la peinture. — Détails biographiques sur François Snyders. Il se lie avec Rubens. chiduc Albert le nomme peintre de la cour. — Malgré la physionomie pastorale de la Néerlande, la peinture des animaux s'y développe trèstard. Manière de Snyders. Analogie de son talent avec celui de Rubens. Ses toiles et ses gravures.

On a peu de renseignements sur la vie de François Snyders, que les écrivains flamands et hollandais nomment aussi Snyers. Les anciens biographes des PaysBas sont en général d'un laconisme désespérant: il leur suffit de donner quelques dates, de noter quelques faits principaux; les sentiments, le caractère moral des artistes, les détails de leur existence, les joies, les douleurs qu'ils ont éprouvées, ne semblent pas obtenir d'eux le plus faible intérêt, et ils gardent sous ce rapport un silence opiniâtre. Mais ils parent toutes leurs notices de portraits excellents; lorsqu'ils ont exposé à la vue l'image

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