ページの画像
PDF
ePub

dans le dénouement de son épisode, et qui produit un effet très-dramatique, est un sentiment bien moins héroïque que l'amitié, et les lecteurs éclairés préfèreront toujours les larmes de la mère d'Euryale aux larmes de Tancrède.

Pulcherrima primùm

Di moresque dabunt vestri, etc.

Les deux amis, avant d'avoir eu dans le conseil l'avis du jeune Ascagne, reçoivent l'approbation d'un sage vieillard. Le vieil Alète exprime en cette occasion une grande maxime; mais elle est appliquée à l'action dont il s'agit, elle en est inséparable. Les maximes ainsi employées sont appelées par les commentateurs des sentences déguisées. Virgile ue les emploie presque jamais autrement; bien différent en cela de Lucain, de Sénèque, et de quelques écrivains modernes.

Immo ego vos, cui sola salus genitore reducto,
Excipit Ascanius, per magnos, Nise, Penates,
Assaracique Larem, et canæ penetralia Vestæ,
Obtestor, etc.

Ces mots par lesquels commence le discours d'lule, immo ego ves, marquent bien l'impatience qu'il a d'exprimer sa reconnoissance aux deux jeunes guerriers. Tout ce discours est pris dans la nature quand on se trouve dans une situation embarrassante, on est prodigue de promesses; Iule offre tout ce qu'il a, il promet tout ce qu'il espère avoir: « Vous avez » vu, s'écrie-t-il, le cheval que monte Turnus ; ce cheval, > le bouclier du héros, son casque écla tant, n'entreront point » dans le partage du butin: Nisus, ils seront le prix de votre » courage. » Dans le dixième livre de l'Iliade, Dolon demande à Hector les chevaux d'Achille; mais la promesse

[ocr errors]

que fait le jeune Ascague de donner le cheval de Turnus à celui qui lui rendra son père a quelque chose de plus naïf et de plus attachant.

Genetrix, Priami de gente vetustâ,

Est mihi, etc.

Euryale recommande sa tendre mère au fils d'Énée : d'un autre côté, Nisus auroit voulu se dévouer pour Euryale. Cette piété filiale et ce dévouement de l'amitié reviennent. en quelque sorte dans toutes les scènes de cet épisode dramatique le lecteur n'oublie point les paroles de Nisus, et il songe toujours à la mère d'Euryale; cette exposition est un chef-d'œuvre de l'art.

:

La réponse que fait le jeune Ascagne à Euryale est pleine de sentimens et de vérité. Il avoit fait à Nisus les plus belles promesses, sans trop savoir s'il pourroit les tenir : son impatience de revoir son père l'emporte quelquefois au-delà des bornes; le lecteur sourit de son aimable naïveté. Mais lorsqu'Euryale lui parle de sa mère, il répond à un langage connu de son cœur, et toutes ses expressions ont la justesse convenable.

Euryalus phaleras Rhamnetis et aurea bullis
Cingula; Tiburti Remulo ditissimus olim
Quæ mittit dona, etc.

Euryale prend l'écharpe de Rhamnès. Cette circonstance caractérise très-heureusement les goûts de l'imprudente jeunessc: cette écharpe de Rhamnès doit causer la mort des deux jeunes Troyens. On croira difficilement que quelques commentateurs aient trouvé dans cet ingénieux incident un motif pour mettre l'épisode d'Ulysse et de Diomède au-dessus de celui de Nisus et d'Euryale. « Les espions d'Homère, discut-ils, s'acquittent

d'abord de leur mission; ce n'est qu'après avoir su le secret des ennemis que Diomède ayant du temps de reste enlève les chevaux du roi de Thrace; et, s'il tue des Troyens endormis, ce ne sont précisément que ceux qui ferment le passage aux chevaux. Quant à Nisus et Euryale, ajoutent-ils, l'un est un jeune étourdi, et l'autre n'est guère plus prudent; ils s'amusent tous les deux à massacrer des ennemis plongés dans le sommeil; ils se chargent de leurs dépouilles, et perdent ainsi mal à propos le temps qu'ils auroient dù employer à faire leur message. » Tous ces raisonnemens ne prouvent rien, si ce n'est que Nisus et Euryale n'ont pas la prudence d'Ulysse, et personne ne doit en être étonné; Virgile a fait agir ses jeunes guerriers selon les passions de leur âge; il faut les juger sur la bonté poétique, et non pas sur la bonté morale de leur caractère. Nous convenons cependant que le carnage inutile que font Nisus et Euryale dans camp ennemi contraste trop peut-être avec les sentimens tendres dont ils offrent le modèle. Ce léger défaut, qui pourroit être justifié par les mœurs anciennes, est le seul qu'on puisse reprocher raisonnablement à l'épisode de Virgile.

le

Volvitur Euryalus leto, pulchrosque per artus

It cruor, inque humeros cervix collapsa recumbit:
Purpureus veluti quum flos succisus aratro, etc.

Cette comparaison est plus ingénieuse que ne le sont ordinairement les comparaisons des anciens. L'idée en est évidemment prise de ces vers de Catulle: velut prati ultimi flos, prætereunte postquam tactus aratro est. L'imitation de Virgile est gracieuse, mais elle n'a rien qui puisse remplacer le mot de prætereunte : cette épithète se lie heureusement à l'idée morale de la comparaison; elle ex

prime à la fois la fragilité de la fleur et celle de la beauté. Cette fleur n'a point été renversée par des efforts combinés, mais par la charrue qui l'a touchée par hasard et en passant.

Cette comparaison nous en rappelle une autre de Catulle, qui est peut-être plus gracieuse encore : il compare une jeune vierge à une fleur qui croît dans un jardin écarté, à l'abri des troupeaux et de la charrue :

Ut flos in septis secreti nascitur horti,
Ignotus pecori, nullo contusus aratro,

Quem mulcent auræ, firmat sol, educat imber.

Ces trois vers charmans sont une idylle tout entière. Aucun poëte dans l'antiquité n'égale Virgile pour la grâce ; mais Catulle peut lui être comparé quelquefois avec avantage. Fénelon aimoit les poésies de Catulle; il disoit que les modernes n'auroient pas beaucoup perdu, si les poëtes élégiaques n'étoient pas venus jusqu'à nous, mais il auroit cependant regretté Catulle.

Hoc fletu concussi animi, mæstusque per omnes
It gemitus: torpent infractæ ad proelia vires.
Illam incendentem luctus Idæus et Actor,
llionei monitu, et multùm lacrymantis Iuli,
Corripiunt, interque manus sub tecta reponunt.
At tuba terribilem sonitum procul ære canoro
Increpuit...

Tous les cœurs se laissent attendrir par les larmes d'une mère ; on voit bien dans ces vers l'ascendant de la douleur maternelle sur les ames les plus insensibles. Rien n'est plus touchant que ce tableau.

Parmi ce deuil général, on ne remarque que les pleurs d'Ascagne ; il n'eût pas été convenable de faire pleurer les

autres guerriers. Cependant, le jeune héros se montre at milieu de sa douleur avec toute la raison et toute la pru dence d'un homme d'état. Il sait combien les larmes d'une mère peuvent amollir le courage des soldats; il fait éloigner la mère d'Euryale au moment où le combat va commencer : l'aspect des larmes maternelles ne s'allie point à l'image terrible des scènes de la guerre; Horace a dit: bella matribus detestata.

Lorsque la mère d'Euryale est rentrée sous son toit solitaire, la scène change; les passions guerrières reprennent leur place dans tous les cœurs; on passe subitement des gémissemens aux accens du clairon; des plaintes d'une femme aux cris menaçans des combats: on voit d'avance l'effet que le clairon va produire sur l'ame des guerriers et la soudaine fureur qui va s'emparer des esprits. Tout ce morceau est plein de vérité ; le propre du tumulte et du fracas est d'éteindre les sentimens tendres ; le bruit du tambour a souvent étouffé la voix de la pitié, et les larmes ne coulent point sur le champ de bataille.

Ces mots hoc fletu concussi animi, illam incendentem luctus, multùm lacrymantis Iuli, présentent les images les plus expressives.

Il n'est pas inutile de remarquer ici que le poëte ralentit ou précipite son vers, selon les passions et les scènes qu'il décrit. Des syllabes moins sonores, moins rapides, sont employées pour exprimer le deuil des Troyens. Mais tout-àcoup la marche des vers devient plus prompte; l'oreille suffit à peine à la rapidité des dactyles qui expriment le bruit de la trompette guerrière.

« 前へ次へ »