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DIALOGUE *) INTRE DESCARTES. **)

IT

CHRISTINE,

REINE DE SUÈDE.

Aux champs Élysées.

Christine.

Ah! vous voilà, mon cher Descartes. Que je suis ravie de vous revoir après une si longue absence!

Descartes. Depuis près d'un siècle que nous sommes ic tous deux, il n'a tenu qu'à vous de m'y rétrouver plutôt. Mais je ne suis pas surpris que vous m'ayez laissé à l'écart. Vous savez que sur la terre même, les princes et les philosophes ne vivent pas beaucoup ensemble; s'ils se recherchent quelquefois, c'est par le sentiment passager d'un besoin réciproque, les princes pour s'instruire, les philosophes pour être protégés, les uns et les autres pour être célèbres; car chez les rois, et mêmɛ chez les sages, la vanité se tait rarement, Mais quand une fois

on

*) Dieses Gespräch wurde den 7ten Mai 1771 in der Franzësischen Akademie in Gegenwart Gustavs III, Königs von Schweden, vorgelesen und steht in der 1779 zu Paris erschie nenen Sammlung von d'Alembert's Eloges. **) Rend Descartes (Renatus Cartesius) wurde 1596 zu la Haye im ehemaligen Touraine geboren. Er that' erst Kriegs dienste und widmete sich alsdann ganz der Mathematik und Philosophie, Wissenschaften, für die ihn die Natur bestimmt hatte. Er lebte 25 Jahre zu Egmont in Nordholland und un tergrub von dort aus in seinen unsterblichen Schriften das Ansehen der damals allgemein verehrten Aristotelischen Philosophie. Wenn auch die Resultate seiner Forschungen nicht überall den Charakter der Wahrheit an sich tragen, so hat er doch das grofse Verdienst, den Geist der unbefangenen Untersuchung rege gemacht und eine bessere Philosophie vorbereitet zu haben Auch in der Mathematik zündete er durch die Anwendung der Algebra auf die Geometrie ein neues Licht an. Es ist hier nicht der Ort zu einer umständlichern Entwickelung seiner Verdienste, und wir müssen defshalb auf Thomas unten zu rühmende Lobrede verweisen. Der grofse Philosoph starb 1650 zu Stockholm, wohin ihn die Königin Christine, begierig, seinen Unterricht zu geniessen, gezogen hatte. Er wurde auch dort begraben. französische Gesandte reclamirte aber seinen Körper, der nun 1656 nach Paris gebracht und daselbst in der Kirche St. Geneviève beigesetzt wurde. Über seinen nur kurzen Aufenthalt in Schweden sehe man d'Alembert's eben so gründlich als unterhaltend ge schriebene Mémoires et réflexions sur Christine, Reine de Suède, im zweiten Bande seiner Mélanges de littérature. »

Der

est arrivé dans le triste et paisible séjour où nous sommes, is et philosophes n'ont plus rien à prétendre, à espérer, ni à aindre les uns des autres; ils se tiennent donc chacun de ar côté; cela est dans l'ordre.

Christine. Quelque froideur que vous me fassiez paroître, quelque indifférence que vous me reprochiez à votre égard, i toujours conservé pour vous des sentimens de reconnoisnce et d'estime; et ces sentimens viennent d'être réveillés par s nouvelles que j'ai à vous apprendre, et qui pourront vous. téresser.

Descartes. Des nouvelles qui m'intéresseront! Cela sera ifficile. Depuis que je suis ici, j'ai souvent entendu les morts ɔnverser entre eux: ils débitoient ce qui s'est passé sur la terre epuis que je l'ai quittée; j'ai tant appris de sottises que je uis dégoûté de nouvelles. D'ailleur's comment voulez-vous ue je me soucie de ce qui se passe là haut depuis que je n'y uis plus? J'y prenois bien peu de part quand j'y étois. C'étoit ourtant une grande époque, celle de la fameuse guerre de rente ans, et des célèbres négociations qui l'ont suivie; on faioit alors les plus grandes et les plus belles actions; on's'égor→ eoit et on se trompoit d'un bout de l'Europe à l'autre; c'étoit, ce qu'on dit, le temps des grands printes, des grands généaux et des grands ministres; je ne prenois part ni à leurs ilustrēs massacres, ni à leurs augustes secrets, et je méditois paisiblement dans ma solitude.

Christine. Vous n'en faisiez pas mieux: un sage comme Fous auroit pû être beaucoup plus utile au monde. Au lieu l'être enfermé dans votre poêle *) au fond de la Nord-Holande, occupé de géometrie, de physique, et quelquefois, soit lit entre nous, d'une métaphysique assez creuse, vous auriez bien mieux fait d'aller dans les armées et dans les cours, d'y persuader aux hommes de vivre en paix.

et

Descartes. J'y aurois vraiment été bien reçu! Persuader aux hommes de ne pas s'égorger, sur-tout quand ils ne savent pas pourquoi ils s'égorgent! Quand on est réduit à prouver des choses si claires, c'est perdre sa peine que de l'entreprendre. Je me souviens de ce qui arriva, pendant la guerre de Vespasien et de Vitellius à un certain philosophe dont parle

*) Poêle, ein Stubenofen, auch die Stube selbst, wenn von Deutschland und den Nordischen Ländern die Rede ist. In Frankreich sind solche Oefen wenig gebräuchlich.

Tacite; il s'avança entre les deux armées, qui étoient en présence, et voulut, pár une belle déclamation contre la guerre, leur persuader de mettre bas les armes, et de s'en aller chacune de leur côté. Le philosophe fut bafoué et roué de coups, et on se battit mieux que jamais.

Christine. On assure que vous seriez aujourd'hui plus content de l'espèce humaine. Tous les morts qui viennent ici depuis quelque temps, et les philosophes même qui nous arrivent, conviennent que les esprits s'éclairent, et que la raison fait des progrès.

Descartes. Si elle en fait, c'est, je crois, bien insensiblement. Il est inconcevable avec quelle lenteur les nations en corps cheminent vers le bien et vers le vrai. Jettez les yeux sur l'histoire du monde, depuis la déstruction de l'empire Romain jusqu'à la renaissance des lettres en Europe; vous serez effrayée du degré d'abrutissement où le genre humain a langui pendant douze siècles.

Christine. Les peuples cheminent lentement, il est vrai; mais enfin ils cheminent, et ils arrivent tôt ou tard. La raison peut se comparer à une montre; on ne voit point marcher l'aiguille, elle marche cependant, et ce n'est qu'au bout de quelque temps qu'on s'apperçoit du chemin qu'elle a fait; elle s'arrête à la vérité quelquefois, mais il y a toujours au dedans de la montre un ressort qu'il suffit de mettre en action pour donner du mouvement à l'aiguille.

Descartes. A la bonne heure; tout ce que je sais, c'est que de mon temps l'aiguille n'alloit guère; le ressort même, s'il y en avoit un, étoit si rélâché que je l'ai cru détruit pour jamais, tant j'ai essuyé de contradictions et de traverses pour avoir voulu enseigner aux hommes quelques vérités de pure spéculation, et qui ne pouvoient troubler la paix des états.

Christine. Ce temps de dégout et de disgrace est passé pour vous; on vous rend enfin justice, on vous rend même les honneurs qui vous sont dûs.

Descartes. On m'a tourmenté pendant que je pouvois y être sensible; on me rend des honneurs quand ils ne peuvent plus me toucher; la persécution a été pour ma personne, et les hommages sont pour mes manes. Il faut avouer que tout cela est arrangé le mieux du monde pour ma plus grande satisfaction.

Christine. Heureusement pour l'honneur du genre humain, on ne traite pas toujours avec la même injustice les hommes

dont les talens illustrent leur patrie. Je viens d'apprendre qu'en France même, et dans le moment où je vous parle, une société considérable de gens de lettres élève une statue au plus célèbre écrivain de la nation *); on ajoute, que des personnes respectables par leurs lumières, tant en France que dans les pays étrangers, font à cette louable entreprise l'honneur d'y

concourir.

Descartes. Cela est vrai; mais savez-vous ce que j'apprends de mon côté? On dit qu'il se trouve en même temps des hommes qui voudroient bien décrier cet acte de patriotisme, par une raison qu'ils n'osent à la vérité dire tout haut'; c'est que l'homme de génie qui est l'objet de ce monument, aura la satisfaction de le voir et d'en jouir. Ces dispensateurs équitables de la gloire demandent pourquoi on n'érige pas plutôt des statues à Corneille, à Racine et à Molière; et ils le demandent, parce que Corneille, Racine et Molière sont morts; ils n'auroient eu garde de faire la question du vivant de ces grands hommes, dont le premier est mort pauvre, le second dans la disgrâce, **) et le troisième presque sans sépulture.***)

Christine. On pourroit, ce me semble, réprésenter l'Envie, égorgeant d'une main un génie vivant, et de l'autre offrant de l'encens à un génie qui n'est plus. Mais laissons-là ces hommes si zélés pour honorer le mérite, à condition qu'il n'en saura rien et ne parlons que de ce qui vous concerne. l'on a eu le tort de vous avoir oublié long-temps, il semble qu'on veuille aujourd'hui réparer cet oubli d'une manière éclatante. Savez-vous qu'on vous élève actuellement un mausolée?

:

Si

Descartes. Un mausolée, à moi! La France me fait beaucoup d'honneur: mais il me semble que si elle m'en jugeoit digne, elle auroit pû ne pas attendre cent vingt ans après ma mort.

Christine. Vous faites vous-même bien de l'honneur à la France, mon cher philosophe, en croyant que c'est elle qui pense à vous élever un monument. Elle y songera bientôt sans doute, et il s'en offre une belle occasion; car on reconstruit actuellement avec la plus grande magnificence l'église ou vos

*) &. die Note am Ende dieses Dialogs. **) S. die Biographie dieses Dichters im 2ten Theile des Handbuchs. ***) Es wurde ihm anfangs ein christliches Begräbnifs versagt; s. die Biographie dieses Komikers im aten Theile des Handbuchsi

cendres ont été apportées, et il me semble qu'un monument à l'honneur de Descartes décoreroit bien autant cette église, que de belles orgues ou une belle sonnerie. Mais en attendant, on vous érige un mausolée à Stockholm, dans le pays où vous avez été mourir *). C'est à un jeune prince, qui règne aujourd'hui sur la Suède, que vous avez cette obligation. Je n'ai point eu, comme vous savez, l'ambition de me donner un héritier; mais que j'aurois été empressée d'en avoir, si j'avois pu espérer que le ciel m'accordât un tel prince pour fils! Je m'intéresse vivement à lui par tout ce que j'entends dire de ses lumières, de ses connoissances, de sa modestie, ou plutôt, et ce qui vaut bien mieux encore, de sa simplicité; car la modestie est quelquefois hypocrite, et la simplicité ne l'est jamais.

Descartes. Je ne puis pas dire que je voudrois voir ici ce prince pour le remercier. J'espère même, pour le bonheur de la Suède, qu'il ne viendra nous trouver de long-temps. Mais je voudrois du moins que ma nation m'acquittât un peu envers lui. Je sais qu'elle est légère et frivole: mais au fond elle est sensible et honnête: et si elle n'a rien fait pour moi, ce sera m'en dédommager en quelque sorte, que de se montrer reconnoissante des honneurs que les étrangers me rendent. Je n'ai ni la vanité d'être ébloui de ces honneurs, ni l'orgueil de les dédaigner: une ombre a le bonheur ou le malheur de voir les choses comme elles sont. Mais quand je n'aurois rendu d'autre service aux philosophes, que d'ouvrir la carrière d'où ils tirent les matériaux du grand édificé de la raison, j'aurois, ce me semble, quelque droit au souvenir de la postérité.

Christine. Quant à moi, je partage bien vivement les obligations que vous et la France avez en ce moment à la Suède: car le mausolée qu'on vous y élève est une dette que j'avois un peu contractée envers vous. ****

Descartes. Il est vrai, soit dit sans vous en faire de reproche, qu'après avoir assez bien traité ma personne, vous avez un peu négligé ma cendre. J'étois mort dans votre palais, d'une fluxion de poitrine que j'avois gagnée à me lever pendant trois mois, en hiver, à cinq heures du matin, pour aller vous donner des leçons. On dit que vous me regrettâtes quelques jours,

*) Dieses von Archevesque auf Gustáv's III. Veranstaltung und Kosten gefertigte sehr schöne Denkmal ziert die Adolph Friedrichskirche zu Stockholm, ein modernes, an der Stelle der ehemaligen Olofskapelle errichtetes und 1774 eingeweihtes Gebäude.

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