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plus sensibles vœux. Peu de jours suffirent pour former un corps d'artistes considérable.

Les choses en cet état, M. de Charmois crut qu'il étoit temps de mettre la dernière main à son ouvrage et de donner une véritable consistance à ce corps. Pour cet effet, il invita tous les peintres et tous les sculpteurs brevetaires du roi de se trouver, au jour marqué, à l'hôtel de Schomberg. Ce fut pour mieux donner le change aux jurés qu'il s'attacha à ne rechercher ainsi en apparence que ces artistes qualifiés. Ceux-là triomphoient de l'embarras où ils avoient mis ces autres par le dernier arrêt, et même des mouvements qu'ils les voyoient se donner pour vaincre ces embarras, assurés et fiers de la supériorité de leurs ressources du côté de la chicane, et de l'issue que, selon eux, ne pouvoit manquer d'avoir au Parlement un procès où il s'agissoit, quoique assez indirectement, de mater la Cour. Il est certain qu'ils ne prirent aucun ombrage de cette assemblée. Elle fut cependant assez nombreuse. Plusieurs des grands maîtres de l'art non privilégiés s'y trouvèrent avec les brevetaires, comme par pur hasard. M. de Charmois y fit la lecture de la requête qu'il déclaroit vouloir présenter au roi. Il en parcourut ensuite et en discuta toutes les diverses parties, expliqua de chacune et l'objet et l'utilité, et la liaison qu'elle avoit avec les autres, exposa et mit dans tout son jour le plan de

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l'Académie et celui des exercices publics, dont il démontra tous les avanges présents et futurs, et parla sur tout avec tant de lumière, de solidité et d'agrément, que la compagnie en demeura saisie d'admiration. En effet, elle ne répondit et à la requête et au discours qui lui avait servi de commentaire que par une acclamation générale. Chacun sembla n'être animé que du désir de contribuer à qui mieux à l'accomplissement d'un si noble dessein, et la requête fut signée de tous avec un empressement inexprimable.

A la tête de ceux qui la souscrivirent en cette assemblée l'on vit les noms de MM. Le Brun, Sarrazin, Perrier, de La Hire, Errard, Corneille, d'Egmont, Van Opstal, Bourdon, Du Guernier, Ance, les deux Beaubrun, les deux Testelin. Ces noms étoient suivis de ceux de la plupart des autres célèbres peintres et sculpteurs de ce temps. Parmi ceux-ci, il s'en mêla un grand nombre d'autres encore, dont, par une attention généreuse, l'on a bien voulu ne point conserver ici la mémoire. Ce furent ceux des membres de cette assemblée qui peu de temps après se retirèrent du corps académique, par les raisons qui seront déduites en

leur lieu.

Dans cette même assemblée il arriva un fait, lequel, quoique assez peu considérable en soi, et en quelque sorte étranger à l'objet principal de

ces mémoires, paroît ne pas devoir être passé sous silence. Peut-être constatera-t-il mieux que tous les récits les plus recherchés les vertueux épanchements de satisfaction et de joie qu'elle produisit dans tous les cœurs. L'un de ceux qui la composoient prit sur lui d'y représenter la situation où se trouvoit un homme de la profession, habile et plein de mérite, qu'une fatalité inopinée avoit réduit à l'indigence. A cet exposé tous les cœurs s'émurent d'une généreuse sensibilité. Chacun des assistants s'écria que ce jour étoit trop heureux pour les arts pour qu'il fût permis de laisser dans la souffrance un confrère dénué des secours de la fortune, et que l'Académie ne se pouvoit former sous des auspices plus favorables que sous ceux de l'humanité et de la miséricorde. L'émulation avec laquelle on se mit à contribuer à cette bonne œuvre alla jusqu'à la profusion, et valut à celui qui en fut l'objet une somme d'argent considérable.

Cependant M. de Charmois prenoit toutes les mesures que son habileté et son expérience dans la conduite des affaires pouvoient lui suggérer pour assurer la réussite de l'entreprise dont il se voyoit maintenant chargé en chef. Il eut soin d'en prévenir les plus considérables d'entre les seigneurs qui composoient le conseil de régence et chez lesquels il avoit un libre accès, et de leur en faire concevoir la justice, la nécessité et l'utilité. En

même temps il détacha M. Le Brun vers M. le chancelier pour engager ce suprême magistrat à jeter les yeux sur la requête en question et sur le projet d'arrêt que lui, M. de Charmois, se proposoit d'y joindre lorsqu'il la présenteroit au conseil. M. le chancelier examina et approuva le tout, et assura M. Le Brun qu'au conseil il vouloit appuyer cette affaire de tout son pouvoir, et qu'en toute autre rencontre l'Académie le trouveroit toujours rempli d'estime pour elle, et prêt à lui donner des marques de sa protection.

Tout étant ainsi disposé, M. de Charmois pré senta la requête au roi. Elle fut proposée au conseil de régence tenu au Palais-Royal le 20 janvier 1648. A ce conseil se trouvèrent, avec le roi et la reine-mère régente, M. le duc d'Orléans, M. le prince de Condé, M. le chancelier et les seigneurs et ministres qui y avoient entrée et séance. M. de Charmois y fut appelé pour y faire lui-même la lecture de la requête. Comme elle étoit composée avec beaucoup d'art et de soin, elle fut écoutée avec une forte et très favorable attention.

Elle représenta d'abord «< l'abus qui s'étoit glissé >> parmi ceux qui professoient la peinture et la sculpture, par l'ignorance du plus grand nom» bre, qui avoit prévalu sur les remontrances des » plus capables, pour réduire en maîtrise des arts » si relevés par leur essence même, que chez tous

>> les peuples les plus éclairés et les plus policés » ils ont toujours été exercés noblement. Ensuite » elle dépeignit avec les plus vives couleurs les >> suites fâcheuses de cet abus, et cette audace avec » laquelle des doreurs, des étoffeurs, des marbriers, » s'étoient arrogé la qualité de peintres et de sculp»teurs, et s'en étoient fait un titre pour vexer et » pour opprimer ces arts libéraux, et, sous prétexte » de leur maîtrise, donner journellement toutes » sortes d'empêchement et de troubles à ceux qui >> les professoient avec le plus d'honneur et de ca»pacité. » Là elle entra légèrement dans le détail de tous les procès que les arts avoient essuyés depuis près d'un demi-siècle, jusques et y compris celui qui pendoit actuellement au Parlement, rapporta cette étonnante requête présentée par les jurés le 7 février 1646, et mit dans tout son jour l'attentat que ces hommes vils et abjects avoient osé former contre la puissance royale même, en poursuivant au Parlement la limitation des peintres et des sculpteurs du roi et de la reine régente. Elle appuya singulièrement sur les dangereuses conséquences de cet attentat pour l'honneur et la liberté des arts, et sur cette ignominieuse alternative qui tendoit à assujettir les privilégiés du roi, avec les autres excellents hommes de l'une et de l'autre profession, tant françois qu'étrangers, ou à se faire passer maîtres à Paris, ou à travailler

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