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fortifie celle que Marot a façonnée, il ne la dénature pas. Lorsqu'il mourut, à peine âgé de trente-six ans, son talent facile s'élevait en s'affermissant.

Mais il faut passer outre pour arriver au véritable héros de l'entreprise, à Ronsard, qui exerça sur sa littérature et la poésie une souveraineté immense, qui durant cinquante années ne souffrit ni adversaires ni rivaux. L'enfance et la première jeunesse de Ronsard furent singulièrement actives. Dégoûté à neuf ans du collége, il devint page de cour, passa trois ans en Ecosse au service du roi Jacques; puis de retour en France, suivit Lazare de Baïf à la diète de Spire, et le célèbre capitaine Langey en Piémont. Des naufrages, des guerres, des aventures de toutes sortes, une connaissance des hommes et des langues, voilà ce qu'il y gagna. Cette vie dura jusqu'à dix-huit ans, et aurait sans doute continué, si tout à coup le jeune courtisan n'était devenu sourd.

Cette surdité, que les contemporains ont proclamée bien heureuse, valut Ronsard à la France. Il avait connu chez Lazare de Baïf le savant Dorat, précepteur du fils; il se fait aussitôt son élève, et même s'enferme avec le jeune Baïf au collége de Coqueret, lorsque Dorat en est nommé le principal. Là, il rencontre Remi Belleau, futur poète, Antoine Muret, déjà érudit, ses condisciples alors et bientôt ses commen

tateurs.

Après sept années passées au collége, l'ancien page reparaît à la cour, où déjà l'a précédé sa renommée. Mellin de SaintGelais est réduit au silence; et bientôt Ronsard, proclamé par les jeux floraux le prince des poètes, devient, comme naguère Marot, le poète des princes..

Charles IX chérissait Ronsard, le comblait d'abbayes, de bénéfices, et un jour de belle humeur lui adressait des vers élégants. A ces faveurs royales se joignaient les hommages non moins enivrants d'un peuple d'admirateurs. C'était un hymne continuel, un véritable culte.

Hors de France et dans toute l'Europe civilisée, le nom de Ronsard était connu et révéré. La reine Elisabeth envoya un diamant de grand prix à celui qui avait célébré sa belle rivale. Le Tasse venu à Paris en 1571, s'estima heureux de lui être présenté et d'obtenir son approbation pour quelques fragments dont il lui fit lecture.

Lorsque Ronsard mourut, la France entière le pleura; des oraisons funèbres, des statues de marbre lui furent décernées, et sa mémoire, revêtue de toutes sortes de consécrations, semblait entrer dans la postérité comme dans un temple.

Cependant cet édifice de gloire s'écroula plus vite encore qu'il ne s'était élevé. Le vice inhérent à son système ne tarda pas à se dégager des sophismes dont on l'avait enveloppé; la raison nationale revint vite de son éblouissement, et recouvra sa justesse ordinaire de vue. Malherbe fit le reste. Bien inférieur à Ronsard en fécondité et en puissance, mais plus habile, plus sensé, Malherbe mit dans tout leur jour les côtés faibles de la doctrine qu'il combattait, en ayant soin de tenir dans l'ombre les faces plus pures et plus larges, et en amoncelant sur la tête du chef toutes les bévues de ses disciples.

Toutefois, cette condamnation portée par Malherbe et confirmée par Boileau et la postérité n'a pas été exemple d'aigreur et de colère. Toute grande célébrité dans les lettres a sa raison bonne ou mauvaise qui la motive, l'explique et la justifie du moins de l'absurdité. Ronsard était un grand talent, un poète dans le vrai sens du mot. Sans doute, le langage de son poème épique la Francia de manque de noblesse. Minutieux dans les descriptions, trivial dans les images et les comparaisons, le style touche de bien près à la parodie. Dans des odes pindariques, il déploie tout l'appareil extérieur du lyrisme antique: strophes, antistrophes, épodes, hyperboles, images, digressions sans fin, en un mot, tout s'y trouve, hormis la poésie. Le seul mérite de Ronsard, dans ces essais ambitieux, est d'avoir rencontré par intervalles le ton de l'ode; mais il ne le soutient pas; et puis les formes de langage qu'il emprunte aux langues anciennes, les mots qu'il forge trop souvent à l'imitation des composés grecs, forment des disparates et des dissonances choquantes; ce n'est point un français savamment modifié, c'est un français dénaturé et greffié de force sur le grec et le latin. Mais si la haute inspiration lyrique et le génie de l'épopée ont fait défaut à Ronsard, il a dans d'autres œuvres d'un ton élevé atteint quelquefois la noblesse du style et l'harmonie du rythme; enfin il a réussi dans le genre gracieux et sur les traces d'Anacréon. Son style a ici quelque chose de frais, de piquant, de juvénile, et la forme est souvent irréprochable.

Les disciples, comme c'est l'usage, renchérirent sur les défauts du maître, et Ron

1 Le choix du décasyllabe était déjà malheureux. Ce vers inégalement partagé et merveilleusement propre au récit badin par sa souplesse et la facilité des enjambements, se refuse à la noble allure, à la grave démarche de la poésie héroïque.

2 P. ex. entéléchie, aime-pampre-enfant, oligochronien, grandime, etc.

sard, vers la fin de sa carrière, reconnaissant enfin dans les autres les défauts qui ne l'avaient point frappé en lui-même, en vint à recommander aux écrivains de n'estre plus latineurs ni grécaniseurs", à écrire contre les pétrarquistes; à s'aviser enfin, mais un peu tard, de revenir à la nature. Mes enfants, disait Ronsard à d'Aubigné, il y a des vocables françois: défendez-les contre ces marauds qui ne tiennent pas élégant tout ce qui n'est pas écorché du latin ou de l'italien.

Tel fut Ronsard. Par une sorte d'apothéose, il avait imaginé une Pléiade poétique à l'imitation des poètes grecs qui vivaient sous les Ptolémées. La Pléiade se composait de Dorat son maître, Amadis Jamyn son élève, Joachim Du Bellay et Remy Belleau ses anciens condisciples, et enfin Etienne Jodelle et Pontus de Thyard ou par variante, Scévole de Sainte-Marthe et Muret.

Au plus fort même de la célébrité de Ronsard, vers 1575, s'en élevait une autre qui, toute provinciale qu'elle était, se plaça de suite au premier rang dans l'opinion. Guillaume de Salluste, seigneur Du Bartas (1544 à 1590), dédaignant les mignardises de la plupart des disciples de Ronsard, s'attacha au côté sérieux de la réforme poétique, mais comme il admirait de loin le génie du chef, il prit pour des beautés ce qu'il y avait de plus saillant dans le modèle, c'est-à-dire ses écarts; dans l'isolement, le goût naturel qu'il apportait pour le grand se gonfla jusqu'à l'emphase; le désir d'innover dans la langue, pour se faire remarquer après les premières témérités des réformateurs, le conduisit à d'étranges entreprises sur les mots, et l'ambition de surpasser ses maîtres de prosodie l'entraîna à des effets d'harmonie tout à fait surprenants. Malgré ces travers, Du Bartas mérite quelque considération par l'élévation soutenue de ses sentiments, par la noblesse de ses pensées, par ses efforts constants vers la grandeur, par son enthousiasme vrai et communicatif.

Du Bartas, homme de bien, de mœurs irréprochables, protestant sincère, puisa les divers sujets de ses poésies dans la Bible. Il chanta d'abord Judith, et après ce sérieux début, il aborda une œuvre plus imposante,

1 Du Bartas s'arrogea le droit de redoubler la première syllabe de certains mots pour en augmenter l'éclat: petiller devient pépétiller, flottant, flotflottant, etc. En outre comme l'a remarqué

Malherbe,,,il descend toujours du genre à l'espèce, ce qui est chose très vicieuse." Aussi dit-il, en parlant de la lumière, duc des chandelles et non roi de la lumière, il se sert de seringuer au lieu d'introduire, etc.

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une véritable encyclopédie religieuse. La Semaine ou la Création du monde, qui comprend l'œuvre des six jours et le repos du septième, est un commentaire de la Genèse, où, sur le texte de Moïse, le poète calviniste étale toute la science de son temps, cosmogonie, astronomie, histoire naturelle, théologie. Les tableaux à perte de vue qu'on rencontre en grand nombre dans la Semaine prouvent que le genre descriptif ne date pas du XVIIIe siècle, comme le prétendent la plupart des critiques littéraires. Le style de Du Bartas est hérissé de comparaisons pompeuses ou triviales, et de métaphores extravagantes, mais il a de la verve, et souvent on trouve des rapprochements énergiques, des expressions riches et étoffées. La Semaine fit fureur, elle eut vingt éditions en six ans et des traductions dans presque toutes les langues.

Au moment même où Pierre Pithou et ses amis assuraient par leur mémorable satire politique le triomphe national du bon sens, entrait en scène un jeune homme, neveu de Desportes par sa mère, qui s'élèvera au-dessus de toutes les muses satiriques et gaillardes du XVIe siècle. Ce nouveau venu, Mathurin Regnier, est le poète le plus original qu'ait eu la France depuis Villon et le vrai créateur de la satire. Sans doute la satire était, comme le vaudeville, dans le malin génie de la nation; les sirventes des troubadours et des trouvères, les coq-à-l'âne de Marot, les Discours de Du Bellay le prouvent assez; mais nulle part elle ne formait une œuvre régulière et suivie.

Nourri dans la pleine jovialité des mœurs bourgeoises, Regnier prit de bonne heure les habitudes de débauche et de moquerie, de licence et de morale satirique qui se sont mêlées et confondues dans sa vie comme dans ses vers.

Regnier est un admirable peintre de portraits; il nous donne avec une verve et une variété parfaite le signalement des actualités: le poète, le fanfaron de Gascogne, le docteur ignare et cupide, le courtisan, sont couchés d'une manière impérissable sur ses tablettes. 11 monte plus haut, il prend à partie les vices éternels et universels de l'homme, l'avarice, l'envie, l'hypocrisie surtout; son Hypocrite, précurseur de celui de Molière, est peut-être plus odieux que Tartufe lui-même.

Regnier, bien que ne relevant en réalité que de lui-même et des anciens, se croyait naïvement de l'école de Ronsard et il guerroya pour elle. Sa neuvième satire, étincelante à la fois de colère et de poésie, est dirigée contre Malherbe. La plus belle créa

tion de Regnier, c'est son style; on en a fait un bel et juste éloge en le rapprochant de celui de Montaigne. Regnier est en effet le Montaigne de la poésie française. Il s'est fait une langue à lui, libre et hardie dans son allure, féconde en saillies originales, jetant sur un fond de bon sens naïf des images étincelantes, des traits d'inspiration fort heureux, des grâces soudaines d'expression à la manière de La Fontaine. Cependant le grand poète n'est pas achevé en lui: il a des passages obscurs et languissants, de longues périodes embarrassées, ses chaudes couleurs manquent souvent de délicatesse, et il a le tort d'accueillir des métaphores outrées.

Malherbe.

Les deux grands mouvements qui ont agité le XVIe siècle, la réforme religieuse et la renaissance des lettres antiques, se règlent enfin au terme de cette période, et aboutissent à une double conciliation qui fait succéder la discipline à l'anarchie dans le monde politique et dans les lettres. Dans l'ordre politique, un roi s'établit glorieusement: c'est Henri IV; dans l'ordre littéraire, un dictateur s'impose: c'est Malherbe. Avec eux et par eux commencent réellement les temps modernes : ils annoncent Richelieu et Corneille, qui préparent à leur tour Louis XIV et son cortége de grands écrivains. La date de la naissance de Malherbe nous force cependant de lui assigner sa place dans cette période.

Malherbe avait quarante-cinq ans, lorsque sur la recommandation de Duperron, Henri IV le retint à sa cour. Il n'avait alors fait que très peu de vers, mais ils étaient bons. Sa manière de juger les autres ne plaisait pas. En effet, il ne parlait des renommées les mieux établies qu'avec un profond dédain, qui devait choquer ses contemporains, bien que, pour nous, ce dédain soit motivé à plusieurs égards.

Cependant son acharnement contre Ronsard et Desportes, et même contre les Italiens et Pétrarque, ressemble quelquefois à du fanatisme; et surtout sa ferveur pour la pureté de la langue dégénère souvent en superstition.

Les changements matériels introduits par Malherbe dans la langue et la versification sont nombreux et importants. Il proscrit la rencontre des voyelles ou hiatus, les enjambements ou suspensions, et poste la césure au sixième pied de l'alexandrin, comme une sentinelle impassible; il se montre stricte observateur de la rime et repousse dédaigneusement les rimes trop faciles, bannit

toute espèce de licence de langage, blâme les inversions dures et forcées, les cacophonies, les consonnances de l'hémistiche avec la fin du vers, et de la fin du vers avec l'hémistiche du précédent ou du suivant. Ces conseils fort judicieux et fort utiles n'ont d'inconvénient qu'autant qu'on les érige en règles générales et obligatoires. Le mérite propre, la gloire éternelle de Malherbe, c'est d'avoir eu le premier en France le sentiment et la théorie du style en poésie; d'avoir compris que le choix des termes et des pensées est, sinon le principe, du moins la condition de toute véritable éloquence, et que la disposition heureuse des choses et des mots l'emporte le plus souvent sur les mots et les choses mêmes. Grâce à quelques pages de Malherbe, la langue française fut affranchie totalement de cette imitation servile des langues étrangères dans laquelle se perpétuait son infirmité et elle commença à marcher d'un pas libre et ferme en ses propres voies. Sans doute, il est à regretter que Malherbe n'ait pas fait davantage. La conception chez lui s'efface toute entière devant l'exécution; il n'aperçoit dans la poésie que du style; il se proclame arrangeur de syllabes, et jamais sa voix ne réveille la moindre des pensées les plus intimes et les plus chères à l'âme.

Si Malherbe a dépouillé la poésie de l'attirail étranger dont Ronsard et son école l'avaient affubléc, il ne renonce pas pour cela à payer un hommage furtif aux divinités du paganisme, et mêlant sans scrupule Neptune et Marie de Médicis, les Parques et Henri IV, il recouvre de ses oripeaux mythologiques le fruit de son laborieux enfantement.

Tout le monde connaît ses stances à Duperrier sur la mort de sa fille, les seules où il ait fait preuve de grâce et de sensibilité, et l'ode qu'il adressa à Louis XIII partant pour la Rochelle.

Malherbe fut chef d'école. Il en eut les avantages et les inconvénients, c'est-à-dire de fervents admirateurs et des adversaires déclarés. Il accepta les louanges, qui jamais ne lui parurent exagérées, et il ne s'émut pas des critiques.

Littérature dramatique.

François I, en montant sur le trône, confirma les privilèges des frères de la Passion. Ces derniers purent néanmoins s'apercevoir, aux réclamations de plus en plus fréquentes lancées contre eux du haut des chaires et surtout au sein du parlement, que leur crédit s'ébranlait, et que la faveur populaire, ni même l'autorisation royale, ne

suffiraient plus pour les soutenir. Depossédés vers 1539 de l'hôpital de la Trinité, ils passèrent à l'hôtel de Flandre, et y jouirent de leurs derniers triomphes. Les Actes des Apôtres, représentés durant l'hiver de 1540 à 1541 avec beaucoup de pompe, attirèrent une foule immense, et rappelèrent les beaux jours du théâtre au XVe siècle.

Néanmoins, dès cette année 1541, le parlement rendit un arrêt qui intimait défense aux maîtres et entrepreneurs du Mystère des Actes des Apôtres d'ouvrir le théâtre à certains jours de fêtes solennelles et même le jeudi de certaines semaines. Vers le commencement de décembre, comme les confrères se disposaient à monter et à jouer pour l'année 1542 le Mystère du Vieux Testament, avec la permission du roi et du prévôt de Paris, le procureur général s'y opposa par une violente invective.

François I ayant ordonné, en 1543, la vente et la démolition de l'hôtel de Flandre et de Bourgogne, les confrères, encore une fois expulsés de leur local, se décidèrent à acheter une portion de l'hôtel de Bourgogne et à y faire bâtir un théâtre à leurs frais. Cet incident ajourna la catastrophe qui les menaçait, et lorsqu'ils présentèrent, en 1548, leur requête au parlement pour obtenir la confirmation de leurs privilèges, la cour les maintint à représenter seuls des pièces sur ce nouveau théâtre, avec défense à tous joueurs et entrepreneurs, d'en représenter dans Paris et la banlieue, autrement que sous l'aveu et au profit de la confrérie. Mais elle ne permit aux confrères que les sujets licites, profanes et honnêtes", et leur interdit expressément les mystères tirés des saintes Écritures. L'école de Jodelle, qui s'éleva quatre ans après, acheva de décréditer ce genre de composition, sans pourtant l'abolir.

Les moralités, les soties et les farces de la Bazoche et des Enfants sans Souci continuaient à tenir le premier rang sur la scène après les mystères. Le système mythologique du roman de la Rose, qui avait pénétré partout, s'associa à la théologie dans les moralités, et de cet accouplement bizarre naissaient mille monstres indéfinissables, mille fantaisies d'une mysticité délirante, qui transformaient ces compositions étranges en espèces d'apocalypses. La manie des personifications ne s'en tint pas à Bonne-Fin, Male-fin, Espérancede-longue-vie, Désespérance-depardon; on vit bientôt figurer en chair et en os le Limon de terre, le Sangd'Abel, la Chair elle-même et l'Esprit, les Vigiles des morts au nom

bre de quatre, savoir: Creator omnium, Vir fortissimus, Homo natus de muliere et Paucitas dierum, etc. Ces tours de force étaient encore à la mode au XVIe siècle. La reine de Navarre prit pour sujet d'une de ses moralités la querelle de Peu et de Moins contre Trop et Prou. Jean Molinet avait déjà mis aux mains le Rond et le Carré. Il y avait pourtant des Moralités sans personnages allégoriques.

Les farces et les soties conservèrent leur ancien caractère satirique et railleur. L'esprit vif et mordant, qui inspira en France le pamphlet politique et le conte philosophique, continua de les animer.

Après la mort de Louis XII les Bazochiens et les Enfants sans Souci retombèrent sous le régime d'une police ombrageuse et tracassière. On leur défendit entre autres de jouer des farces ou soties où il serait parlé de princes et princesses de la cour; il leur fut signifié, en 1538, de remettre désormais à la cour le manuscrit des pièces quinze jours avant la représentation, et de retrancher en jouant les passages rayés, sous peine de prison et de punition corporelle. Deux ans plus tard, il y eut redoublement de rigueur, et la peine dont on menaça les délinquants n'était pas moindre que celle de la hart. Parmi tant de gênes et tant de périls, les sociétés de la Bazoche et des Enfants sans Souci survécurent encore avec leurs cérémonies et leurs statuts jusqu'au commencement du XVIIe siècle, où elles finirent par se perdre et disparaître obscurément dans les orgies du mardi-gras.

Cependant l'étude du théâtre antique commençait, depuis quelque temps à soulever des idées nouvelles, et préparait insensiblement les esprits distingués à un système régulier de composition dramatique. En ce genre comme dans les autres, les traductions précédèrent les imitations et les provoquèrent. Octavien de Saint-Gelais avait traduit d'abord les six comédies de Térence; depuis, Despériers et Charles Estienne avaient retraduit chacun l'Adrienne, l'un en vers, l'autre en prose. Lazare de Baif, père de Jean Antoine, avait translaté ligne pour ligne, vers pour vers", l'Electre de Sophocle et l'Hécube d'Euripide. Thomas Sibilet avait donné une traduction littérale de l'Iphigénie. Plusieurs comédies italiennes venaient de passer dans la langue française; mais, ici encore, le premier essai remarquable et décisif appartient au fameux Ronsard. Il achevait ses études au collége de Coqueret, en 1549, lorsqu'il s'avisa de mettre en vers le Plutus d'Aristophane,

et de le représenter avec ses condisciples devant Dorat, leur maître commun. Ce fut la première représentation classique qui eût lieu en France. L'exemple une fois donné par Ronsard, d'autres que lui poursuivirent cette réforme dramatique, dont Joachim Du Bellay proclamait alors l'opportunité et la gloire.

Aux mystères, pièces entièrement chrétiennes pour le fond et françaises pour la forme, succèdent tout à coup des tragédies de collége toutes mythologiques et païennes. La première tragédie originale de ce genre est la Cléopâtre de Jodelle.' Henri II et sa cour honorèrent de leur présence et de leurs applaudissements la représentation donnée à l'hôtel de Rheims pendant le carnaval de 1552. Le roi fit don à Jodelle d'une somme de cinq cents écus. Didon, la seule tragédie qu'il ait composée après Cléopâtre, lui valut un triomphe encore plus doux sans doute à un cœur de poète. Jodelle, escorté de ses amis est ramené à Arcueil après la représentation pour fêter le succès de la pièce par un splendide banquet; le joyeux cortége fait la rencontre d'un bouc, s'en empare, le décore de lierre et de bandelettes, l'entraîne dans la salle du festin, où Ronsard improvise un dithyrambe. Il n'est pas certain que la victime ait été immolée, mais évidemment la tragédie antique renaissait.

La réputation de Jodelle reçut quelque échec au temps de sa mort. Vers 1573, en effet, Robert Garnier (1545 à 1601) commença à faire représenter dans certains colléges de la capitale des tragédies qui obtinrent aussitôt auprès de Ronsard, de Dorat, et des autres savants une préférence marquée sur celles de ses prédécesseurs. Elles sont au nombre de sept, taillées sur le patron grec, mais composées immédiatement d'après Sénèque. Une idée plus française que celle de l'école de Jodelle germe déjà sous cette enveloppe latine. Les sujets que Garnier choisit de préférence sont ceux qui peuvent s'appliquer aux événements contemporains, et présenter l'état politique et social du moment où il écrit.2

1 Estienne Jodelle, sieur de Lymodin, naquit à Paris en 1532. Il était presque toujours chargé par Henri II des divertissements de la cour. Une de ces fêtes dont

il était l'ordonnateur ayant déplu un jour à ce prince, par une méprise des machinistes qui amenèrent à la suite d'Orphée des clochers au lieu de rochers, Jodelle

fut disgracié, et tombé dans la misère, il mourut ou de faim ou de chagrin en 1573. Une disgrâce royale tua le premier en date des poètes tragiques de la France, comme elle tua plus tard le premier en génie.

2 Telles sont les tragédies de Porcie, Cornélie, MarcAntoine. Garnier donne pour titre à la première: Porcie, tragédie françoise avec des chœurs, représentant les guerres civiles de Rome, propre pour y voir depeintes les calamités de ce temps.

La douleur de voir son pays déchiré par des luttes si longues et si cruelles que celles du XVIe siècle lui inspira la pensée d'exposer à ses concitoyens quels maux traînent après elles les guerres civiles. Garnier a le mérite d'avoir habituellement évité l'emphase et la platitude, sans toutefois atteindre à l'élégance ni se soutenir dans la noblesse, et d'avoir dans les dialogues bien coupés et dans des récits intéressants, débrouillé et parfois assoupli la langue. Le premier il observa la règle du retour des rimes masculines et féminines dans la tragédie. Il innove beaucoup moins dans la langue que ses prédécesseurs.

La tragédie de l'école de Ronsard ne parvint jamais à être populaire. Il n'en fut pas de même de la comédie. Cette différence tient à ce que le sérieux, tel que le concevaient les soldats de la docte brigade n'était en aucun point la représentation de la nature, mais seulement une copie de Sénèque; presque tout y était conventionel et étranger aux mœurs du temps et à celles même de l'humanité. La comédie, au contraire, en copiant Plaute et Térence, exposait les vices et les ridicules de tous les hommes; les contemporains des deux comiques latins n'étaient pas autres que ceux de Jodelle. Aussi la comédie nouvelle ne se sépara pas brusquement de la farce du moyen-âge: elle parut la régulariser plutôt que la supplanter; tandisque rien pour le fond, la forme, l'esprit et la durée, ne ressemble moins à un mystère qu'une tragédie classique. La comédie classique s'appuya également de l'exemple des comédies régulières italiennes.

Jodelle, Grévin, J. de la Taille, dans leurs prologues, parlent avec mépris des farces et des farceurs, se vantant d'écrire pour les princes, et non pour la populace. Leurs pièces se jouent aux colleges, à l'hôtel de Reims. Il y eut, à côté de cette école classique, une autre veine comique plus franche, et qui, bien que réprésentée par un auteur italien d'origine, peut passer pour la chaîne qui relie à Molière les vieux (Giunto, l'Arrivé) était fils d'un des Giunti, gabeurs" français. Pierre de Larivey cette famille d'imprimeurs vénitiens venue à Troyes à la suite d'artistes du même pays. Son théâtre se compose de traduc

1 On n'a aucun détail sur la vie de Larivey. I mourut probablement en 1612. Il écrivit neuf comédies qui forment 2 volumes, Troyes, 1611, in-12. Le premier se compose de 6 pièces: Le Laquais, la Veuve, les Esprits, le Morfondu, les Jaloux, les Ecoliers, déjà imprimées à Paris, 1579, 1 vol.: le deuxième, de trois pièces: la Constance, les Tromperies et le Fidele.

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