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Citons l'impromptu op. 84, allegro vivace en notes répétées, dites alternativement par chacune des deux mains; les deux impromptus op. 129, d'un caractère bien plus individuel et d'une teinte poétique des plus suaves. Nous mettrons encore au nombre des impromptus deux intermèdes de concert (op. 135), qui sont conçus sur le même plan et sont l'un et l'autre ravissants.

D'une facture différente sont les quatre phantasies Stücke (op. 99), dédiées à Mme Damcke, sorte d'impromptus d'un beau caractère. Les deux premières pièces sont des plus intéressantes; la troisième, en style hongrois, a moins de valeur; la quatrième, sorte de récit, serait irréprochable s'il n'était coupé deux fois, par un 2/4 un peu écourté, qui n'a pas la même élévation.

IX

Les nocturnes de Heller n'ont pas la valeur des nocturnes de Chopin, qui sont tellement parfaits qu'il y a présque impossibilité à les égaler.

L'auteur, dans ce genre de morceaux (op. 91, 103, 131), a tenté des voies nouvelles. Il est certain que le n° 2 de l'œuvre 91 ne se rapporte en rien aux formules ordinaires. Le n° 1 de l'œuvre 131, le plus joli de tous, est coupé par une sorte de tarentelle très-vive dont l'effet est étrange. Le no 3 débute comme une polonaise et se termine avec un éclat qui n'est pas dans le style habituel de ce genre de composition.

Comme originalité, nous préférons le n° 3 de l'œuvre 91,

nocturne sérénade, dédié à Me Ninette Falck, composition très-poétique d'un grand effet, mais qui en réalité est une sérénade et une très-jolie sérénade.

Ce dernier titre n'appartient en propre qu'à l'œuvre 56. C'est une des pièces les plus connues du maître; elle est trèsdéveloppée, pleine de détails piquants et date d'une époque où l'auteur accusait avec beaucoup de fermeté les procédés particuliers qui lui constituent un style bien reconnaissable : une certaine façon de moduler qui donne à sa musique un coloris tout spécial, l'emploi alternatif des deux mains que déjà Mendelssohn avait pratiqué presque à l'état de système, une certaine disposition du chant présenté à l'octave par les deux mains à la fois, etc... La sérenade de Heller mérite d'être citée parmi ses meilleures productions; mais c'est une œuvre qui s'adresse aux délicats et qui ne serait pas suffisamment appréciée par un public vulgaire.

Dans le genre ballade, nous trouvons deux œuvres : l'œuvre 121, trois morceaux dédiés à M. Vincent Adler (ballade, conte, Rêve du gondolier) et l'œuvre 115, trois ballades dédiées à M. Auber. Cette dernière œuvre, d'un caractère un peu sévère, est d'une étude intéressante; mais l'œuvre 121 plaira davantage. La ballade et le conte brillent par une mélodie saisissante, des traits heureux, un cachet poétique. Le Rêve du gondolier, est une composition un peu écourtée, mais pleine de charmes.

Les deux canzonnette (op. 60 et 100) ont été composées à un assezlong intervalle l'une de l'autre. Nous ne savons pourquoi Heller a choisi cette appellation. La chansonnette italienne est habituellement fort courte et conçue dans un rhythme populaire. La forme adoptée par l'auteur est au contraire, développée et savante. De ces deux œuvres, celle que nous préférons est

la première (op. 60); elle est extrêmement intéressante, malgré l'étrangeté du premier motif qui s'annonce d'une façon singulièrement lourde et vague; peu à peu la mélodie s'élève, se dessine. Un des mérites de ce petit morceau est la façon habile dont il est conduit; l'intérêt va croissant, et quand, à la fin, reparaît le motif du début, on ne lui trouve plus le même caractère d'étrangeté. La coda est très-brillante, mais, nous le répétons, il n'y a pas là la plus petite apparence d'une chansonnette.

L'auteur a traité la romance sans paroles dans son œuvre 105, trois pièces très-simples et fort jolies, et dans son œuvre 120 (mélodies), bien supérieure, selon nous, à la précédente. S'il nous est permis de manifester nos préférences, nous indiquerons, dans le recueil, le n° 4, andante, d'une élévation très-grande, et les deux pièces 5 et 6, Demande et Réponse, qui sont des plus intéressantes.

X

Dans certaines œuvres, les Promenades d'un solitaire, les Bois, les Scènes pastorales,... Heller a voulu exprimer les sensations ou plutôt les sentiments qu'inspire le tableau des champs. Qu'il nous soit permis de revenir sur un sujet que nous avons déjà effleuré au cours de notre notice biographique sur Chopin: l'influence qu'exerce sur les arts la contemplation de la nature. Il y a peu de sujets d'étude plus intéressants.

Les Grecs, nos maîtres en toutes choses, vivant sous un ciel pur, en face d'une mer bleue, baignés dans la lumière, conçurent le plus souvent, du monde extérieur, une idée sereine qui se reflète dans tout ce qu'ils ont produit: leurs statues ont un caractère de majesté tranquille, de beauté chaste qu'on n'a jamais atteint après eux.

Les peuples de l'antiquité vivaient plus rapprochés que nous de la nature; mais tout en l'aimant, ils la craignaient aussi. Pour certains d'entre eux, c'était un être supérieur dont il y avait tout à redouter, un dieu capricieux et mobile, charmant dans ses caresses, mais impitoyable dans ses colères; la nature semblait avoir des passions comme les hommes. Un brillant soleil éclairait-il les collines et les promontoires, une pure brise rafraîchissait-elle l'atmosphère, l'océan venait-il, en cadence, briser ses flots bleus sur le rivage, les anciens voyaient dans la nature une mère heureuse prodiguant à ses enfants le sourire de ses yeux et le parfum de sa chaude haleine. Les nuages, au contraire, couraient-ils sur la vaste étendue, c'étaient les soucis qui obscurcissaient son front. La pluie tombait-elle en masses pressées, c'étaient ses larmes; l'orage grondait-il, la foudre sillonnait-elle la nue, c'étaient les éclats de sa colère.

La nature était donc aussi un être redoutable, et cet aspect avait surtout frappé les vieux poëtes romains, qui chantaient plus volontiers les horreurs sacrées des grands bois, les mystères effrayants des sombres gouffres que les bienfaisantes larmes de l'aurore et la douce sérénité des champs. Virgile seul, à l'entrée des temps nouveaux, envisagea la nature sous son côté le plus riant, sous son jour le plus pur.

Le moyen âge, plein de superstitions et de terreurs, voit

partout le démon, peuple les forêts de fées et d'esprits élémentaires, revient aux plus folles imaginations païennes.

Les modernes ont mieux compris la nature. La science a fait justice de ces hallucinations qui épouvantèrent nos pères; elle a fait tomber le rideau épais qui dissimulait les véritables contours. Le monde est le théâtre où se joue notre destinée, théâtre où tout vit, tout se meut, tout s'agite, depuis les éléments qui se rapprochent en vertu d'affinités mystérieuses jusqu'à l'homme, la plus intelligente et la plus vive des créatures.

L'écrivain, prosateur ou poëte, décrit la nature dans ses livres ; le peintre la reproduit en l'idéalisant; le musicien ne peut que traduire, dans sa langue, les impressions qu'il reçoit du monde extérieur. Il n'entre pas dans notre cadre de longuement disserter sur la peinture et de noter les mérites de nos modernes paysagistes. Non seulement ils peignent la nature avec un savoir-faire merveilleux, mais ils savent mettre dans leur toile une pensée intime, un reflet vivant des émotions qu'ils ont ressenties; leur œuvre nous dit sous quel aspect ils ont vu le monde extérieur, quelle impression a ébranlé leur âme. Mettez deux peintres de génie en face du même site: ils le reproduiront l'un et l'autre; mais les deux toiles ne se ressembleront en rien. Ce qui déterminera notre impression, ce sera moins le paysage en lui-même que l'émotion éprouvée par le peintre. C'est ce qui fait la différence de l'art avec la photographie. La photographie nous donne la reproduction matérielle, inerte, non vivante. L'artiste est en communion avec la nature: pour lui, elle vit, elle palpite, elle parle; à son contact, il vibre lui-même, il pense; il met sa pensée dans sa toile, et la toile vit à son tour.

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