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>> Dit le vieillard; le sort abandonne à leur choix

>> Ces côteaux enchantés, ces ruisseaux et ces bois.
>> Mais suivez-moi, venez ; sur ce côteau tranquille
>> Je conduirai vos pas; le chemin est facile. >>
Après avoir de loin contemplé ces beaux lieux,
Dont Anchise fouloit les prés délicieux,

Ils descendent: Anchise, au fond de ces bocages,
De ses neveux futurs contemploit les images;
D'un regard paternel il fixoit tour à tour
Ce peuple de héros qui doivent naître un jour;
Il remarquoit déjà les mœurs, les caractères,
Les vertus, les exploits des enfans et des pères.
Son fils sur les gazons vers lui marche à grands pas;
Anchise plein de joie, accourt, lui tend les bras;
Et, l'œil baigné de pleurs, d'une voix défaillante,
<< Te voilà donc, dit-il; ta tendresse constante
» A donc tout surmonté; je puis donc, ô mon fils!
» Ouïr ta douce voix, fixer tes traits chéris!

» Hélas! en t'espérant dans ces belles demeures,
>> Mon amour mesuroit et les jours et les heures.
» Il ne m'a point trompé ; mais que de maux divers,
» O mon fils! t'ont suivi sur la terre et les mers!

» Combien j'ai craint surtout le séjour de Carthage!

>>

"

O mon père! c'est vous, c'est votre triste image

Qui, de tous les devoirs m'imposant le plus doux,

» Du séjour des vivans m'a conduit près de vous.

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Pour moi, pour mes vaisseaux, bannissez vos alarmes ; >> Donnez-moi cette main; que je goûte les charmes >> D'un entretien si doux. Ah! ne m'en privez pas; >> Laissez-moi vous tenir, vous presser dans mes bras! » De ce dernier adieu ne m'ôtez point les charmes!>> Il dit, et de ses yeux laisse tomber des larmes; Trois fois pour le saisir, fait de tendres efforts; Trois fois l'ombre divine échappe à ses transports. Tel fuit le vent léger; tel s'évapore un songe. Cependant, du héros l'œil avide se plonge

Au fond d'un bois profond, plein de verts arbrisseaux, Dont le doux bruit s'accorde au doux bruit des ruisseaux. Le Léthé baigne en paix ces rives bocagères.

Là, des peuples futurs sont les ombres légères.

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Tel aux premiers beaux jours un innombrable essaim
Sort, vole autour des fleurs, se pose sur leur sein;
Dans les airs, sur les eaux, le peuple ailé bourdonne,
Et de leur vol bruyant la plaine au loin résonne.
Le héros veut savoir quels sont ces lieux si beaux,
Quels peuples ont couvert ces rives, ces côteaux.
<< Mon fils, dit le vieillard, tu vois ici paroître

>> Ceux qui dans d'autres corps un jour doivent renaître;
» Mais avant l'autre vie, avant ses durs travaux,
» Ils cherchent du Léthé les impassibles eaux;
» Et, dans le long sommeil des passions humaines,
» Boivent l'heureux oubli de leurs premières peines.

» Dès long-temps je voulois, à ton œil enchanté, >> Montrer ce grand tableau de ma postérité; » De ses brillans destins, ton ame enorgueillie » S'applaudira d'avoir abordé l'Italie. » Alors, le cœur encor tout rempli de ses maux, « O mon père ! est-il vrai que, dans des corps nouveaux » De sa prison grossière une fois dégagée, » L'ame, ce feu si pur, veuille être replongée ? » Ne lui souvient-il plus de ses longues douleurs? » Tout le Léthé peut-il suffire à ses malheurs?

>> - Mon fils, dit le vieillard, dans leur source profonde
>> Tu vas lire avec moi ces grands secrets du monde.
» Écoute-moi : d'abord une source de feux,

>> Comme un fleuve éternel répandue en tous lieux,
» De sa flamme invisible, échauffant la matière,
» Jadis versa la vie à la nature entière,

» Alluma le soleil et les astres divers,

"

Descendit sous les eaux, et nagea dans les airs: » Chacun de cette flamme obtient une étincelle. » C'est cet esprit divin, cette ame universelle,

>>

Qui, d'un souffle de vie animant tous les corps, > De ce vaste univers fait mouvoir les ressorts,"

» Qui remplit, qui nourrit de sa flamme féconde

>> Tout ce qui vit dans l'air, sur la terre et sous l'onde. » De la Divinité ce rayon précieux,

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>> En sortant de sa source

est pur comme les cieux.

» Mais s'il vient habiter dans des corps périssables,

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Alors, dénaturant ses traits méconnoissables,

» Le terrestre séjour le tient emprisonné;

» Alors des passions, le souffle empoisonné
» Corrompt sa pure essence; alors l'ame flétrie
>> Atteste son exil, et dément sa patrie.
» Même quand cet esprit, captif, dégénéré,
» A quitté sa prison, du vice invétéré

» Un reste impur le suit sur son nouveau théâtre;
» Long-temps il en retient l'empreinte opiniâtre;
» Et de son corps souffrant éprouvant la langueur,
» Est lent à recouvrer sa céleste vigueur.

» De ces ames alors commencent les tortures; >> Les unes dans les eaux vont laver leurs souillures; » Les autres s'épurer dans des brasiers ardens, » Et d'autres dans les airs sont le jouet des vents; » Enfin, chacun revient, sans remords et sans vices, >> De ces bois innocens savourer les délices.

>> Mais cet heureux séjour a peu de citoyens :

>> Il faut être admis aux champs Élysiens,

pour

» Qu'achevant mille fois sa brillante carrière,
» Le soleil à leurs vœux ouvré enfin la barrière.
» Le grand cercle achevé, l'épreuve cesse alors.
» L'âge ayant effacé tous les vices du corps,
» Et du rayon divin purifié les flammes,

» Un dieu vers le Léthé conduit toutes ces ames;

» Elles boivent son onde, et l'oubli de leurs maux
» Les engage à rentrer dans des liens nouveaux. »
Il dit : et devançant Énée et la prêtresse,
De ce peuple bruyant il a fendu la presse;
De-là gagne un côteau, d'où leurs yeux satisfaits
De ses neveux futurs distingue tous les traits.
<< Tu vois, dit le vieillard, dans ces ombres légères
>> Les héros renommés dont nous seront les pères ;
» Ces princes, que les chefs du peuple Ausonien
» Se plairont à former de leur sang et du mien.
» Le premier que le sort appelle à la naissance,
» C'est ce jeune guerrier, appuyé sur sa lance,

» Doux fruit de tes vieux ans, roi, père et fils des rois; >> Enfant de Lavinie, il naîtra dans les bois;

» Il leur devra son nom, et sa race aguerrie » Long-temps dominera dans Albe sa patrie. Après lui vois Procas prendre son noble essor, » Le généreux Capys devancer Numitor. >> Nul ne démentira sa noble destinée. » Parmi tes descendans je vois un autre Énée: >> Vaillant comme son père, et comme lui pieux, » Il aimera la gloire, il servira les dieux; » Mais, hélas! repoussé par les destins contraires, » Il montera trop tard au trône de ses pères. » Admire la vigueur de ces jeunes guerriers; » Leur front paisible encor n'est pas ceint de lauriers;

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