>> Dit le vieillard; le sort abandonne à leur choix >> Ces côteaux enchantés, ces ruisseaux et ces bois. Ils descendent: Anchise, au fond de ces bocages, » Hélas! en t'espérant dans ces belles demeures, » Combien j'ai craint surtout le séjour de Carthage! >> " O mon père! c'est vous, c'est votre triste image Qui, de tous les devoirs m'imposant le plus doux, » Du séjour des vivans m'a conduit près de vous. Pour moi, pour mes vaisseaux, bannissez vos alarmes ; >> Donnez-moi cette main; que je goûte les charmes >> D'un entretien si doux. Ah! ne m'en privez pas; >> Laissez-moi vous tenir, vous presser dans mes bras! » De ce dernier adieu ne m'ôtez point les charmes!>> Il dit, et de ses yeux laisse tomber des larmes; Trois fois pour le saisir, fait de tendres efforts; Trois fois l'ombre divine échappe à ses transports. Tel fuit le vent léger; tel s'évapore un songe. Cependant, du héros l'œil avide se plonge Au fond d'un bois profond, plein de verts arbrisseaux, Dont le doux bruit s'accorde au doux bruit des ruisseaux. Le Léthé baigne en paix ces rives bocagères. Là, des peuples futurs sont les ombres légères. Tel aux premiers beaux jours un innombrable essaim >> Ceux qui dans d'autres corps un jour doivent renaître; » Dès long-temps je voulois, à ton œil enchanté, >> Montrer ce grand tableau de ma postérité; » De ses brillans destins, ton ame enorgueillie » S'applaudira d'avoir abordé l'Italie. » Alors, le cœur encor tout rempli de ses maux, « O mon père ! est-il vrai que, dans des corps nouveaux » De sa prison grossière une fois dégagée, » L'ame, ce feu si pur, veuille être replongée ? » Ne lui souvient-il plus de ses longues douleurs? » Tout le Léthé peut-il suffire à ses malheurs? >> - Mon fils, dit le vieillard, dans leur source profonde >> Comme un fleuve éternel répandue en tous lieux, » Alluma le soleil et les astres divers, " Descendit sous les eaux, et nagea dans les airs: » Chacun de cette flamme obtient une étincelle. » C'est cet esprit divin, cette ame universelle, >> Qui, d'un souffle de vie animant tous les corps, > De ce vaste univers fait mouvoir les ressorts," » Qui remplit, qui nourrit de sa flamme féconde >> Tout ce qui vit dans l'air, sur la terre et sous l'onde. » De la Divinité ce rayon précieux, >> En sortant de sa source est pur comme les cieux. » Mais s'il vient habiter dans des corps périssables, Alors, dénaturant ses traits méconnoissables, » Le terrestre séjour le tient emprisonné; » Alors des passions, le souffle empoisonné » Un reste impur le suit sur son nouveau théâtre; » De ces ames alors commencent les tortures; >> Les unes dans les eaux vont laver leurs souillures; » Les autres s'épurer dans des brasiers ardens, » Et d'autres dans les airs sont le jouet des vents; » Enfin, chacun revient, sans remords et sans vices, >> De ces bois innocens savourer les délices. >> Mais cet heureux séjour a peu de citoyens : >> Il faut être admis aux champs Élysiens, pour » Qu'achevant mille fois sa brillante carrière, » Un dieu vers le Léthé conduit toutes ces ames; » Elles boivent son onde, et l'oubli de leurs maux » Doux fruit de tes vieux ans, roi, père et fils des rois; >> Enfant de Lavinie, il naîtra dans les bois; » Il leur devra son nom, et sa race aguerrie » Long-temps dominera dans Albe sa patrie. Après lui vois Procas prendre son noble essor, » Le généreux Capys devancer Numitor. >> Nul ne démentira sa noble destinée. » Parmi tes descendans je vois un autre Énée: >> Vaillant comme son père, et comme lui pieux, » Il aimera la gloire, il servira les dieux; » Mais, hélas! repoussé par les destins contraires, » Il montera trop tard au trône de ses pères. » Admire la vigueur de ces jeunes guerriers; » Leur front paisible encor n'est pas ceint de lauriers; |