ページの画像
PDF
ePub

dire ce qu'il en coûte parfois à un artiste d'avoir composé une pièce à succès: on a jeté vingt ans à la tête de Berlioz sa Marche des pèlerins; c'était un texte commode pour déprécier le reste.

ΧΙ

Les dix-huit morceaux qui composent le recueil des Nuits blanches (op.82) n'ont aucune prétention descriptive. Ce sont des effusions lyriques, des pièces toutes de sentiment. La forme en est belle et la mélodie presque toujours remarquable.

Les trois recueils que nous venons de citer, les Promenades d'un solitaire, les Bois et les Nuits blanches, feront époque dans l'histoire de la musique, parce que l'artiste a été réellement inventeur. Dans ces pièces la forme est absolument nouvelle : ce n'est pas la romance sans paroles, ce n'est pas le nocturne, c'est une conception tout à fait originale, qui appartient en propre à Heller, comme on peut dire que la romance sans paroles appartient à Mendelssohn. On n'avait jamais rien écrit de semblable avant lui, et si des pièces de ce genre ont été écrites dans ces derniers temps, on peut affirmer que Heller en a été le réel initiateur.

Sous le chiffre d'œuvres 126, Heller a composé, pour le piano, trois ouvertures de styles différents, l'une pour un drame, l'autre pour une pastorale, la troisième pour un opéra comique. Il a prouvé par cette tentative qu'il pouvait parfaitement atteindre le style symphonique. De ces trois pièces, celle qui

nous paraît supérieure est l'ouverture destinée à un drame. Nous allons réunir dans une même étude un certain nombre de pièces, de différentes formes et de diverses dimensions, que l'auteur eût été fort embarrassé de classer luimême, et auxquelles il a donné des titres très-vagues, ne pouvant faire autrement.

Six feuillets d'album (op. 83).-Nous eussions intitulé Préludes ces charmantes compositions très-courtes qui rappellent les meilleurs inspirations de l'œuvre 81 publiée antérieure

ment.

Pour un Album (op. 110). Deux morceaux, l'un assez développé, en style élevé, sombre, mais un peu froid, le second très-court: Allegretto con tenerezza.

Petit album (op. 134).- Ici nous trouvons la plus grande diversité de genres: une Novelette (titre emprunté à Schumann), un Scherzo, une Romance, une Arabesque, Question, Réponse. Est-ce une illusion du titre? Il nous a semblé que la première pièce (Novelette) rappelait tout à fait le style de Schumann dans ses premières mesures. La Romance est charmante, mais les deux pièces qui nous paraissent les plus intéressantes sont les deux dernières : Question, Réponse. C'est la seconde fois que le musicien emploie cet artifice. L'idée est ingénieuse et l'effet très-heureux, presque saisissant.

Album à la jeunesse (op. 138).-Encore un titre à la Schumann; vingt-cinq pièces en quatre livres, avec des titres explicatifs vingt-cinq petits joyaux ciselés avec un soin extrême et une rare perfection. La série intitulée Tziganyi (les Bohémiens) est particulièrement intéressante.

Feuilles volantes (op. 126). — Cinq morceaux plus développés, d'un caractère un peu vague, mais d'une poésie qui

n'est pas sans charmes. Le n° 3, fa majeur, est une pièce tout à fait remarquable.

Deux cahiers (op. 114). - Contenant un prélude très-beau comme toutes les œuvres de Heller qui portent ce nom; une pièce avec un titre emprunté à Schumann (kinder-scenen), charmante et naïve. La troisième pièce (presto scherzozo) n'est pas à la hauteur des Scherzi précédemment analysés.

Op. 111. Morceaux de ballet. -Recueil très-beau, très-symphonique. Convenablement orchestré, il constituerait un remarquable intermède, surtout si l'on adjoignait comme finale la troisième pièce de l'œuvre 118, qui est, n'en déplaise à l'auteur, un véritable morceau de virtuose, difficile et de grand effet. On pourrait néanmoins l'adapter à l'orchestre; ce serait une excellente conclusion à l'œuvre 111, dont la dernière pièce finit pianissimo. Les autres pièces de l'œuvre 118, intitulées Boutade, Feuillet d'album, sont très-courtes. Le Feuillet d'album est une romance sans paroles, d'un joli caractère.

Op. 124, Scènes d'enfant. Encore un titre que le compositeur a emprunté à Schumann, dont les scènes d'enfants. sont si connues et si remarquables. Il était dangereux de lutter avec un pareil modèle. On ne saurait méconnaître, cependant, que les kinder-scenen de notre compositeur sont intéressantes, mélodieuses, bien rhythmées; l'auteur n'a pas mis de titre à ces pièces, et c'est à dessein. Il n'a voulu que peindre l'enfance en général, sa naïveté, son inconscience, tandis que Schumann, dans chaque tableau, a eu un but précis et déterminé qu'il indique.

XII

Dans le prélude encore, Heller a été vraiment novateur. Præ-ludium, morceau qui se joue avant un autre. Autrefois toute fugue était précédée de son prélude. Tantôt le prélude avait une forme vague, comme dans certaines pièces de Hændel; le plus souvent, comme chez Bach, il avait une forme très-serrée; c'était presque une fugue, ou tout au moins un morceau traité en imitation ou en canon.

Plus tard il fut admis qu'avant de jouer un solo, le pianiste devait laisser courir un instant ses doigts sur le piano et, pendant quelques secondes, préparer l'auditeur à l'audition du morceau. Quelques auteurs, Clémenti, Czerny, etc., ont vu là une matière à codifier, à réglementer, et écrivirent des préludes dans tous les tons. C'était là le résultat d'une erreur, puisqu'un prélude dans un ton donné ne s'applique pas nécessairement au caractère d'un morceau écrit dans ce ton.

Les admirables préludes de Chopin échappent à ce système. Mais tous ne sont pas de vrais préludes; les uns sont des études, des pièces complètes; les autres des embryons de morceau, des cartons dont il a profité dans la suite, et dont il a tiré des œuvres plus étendues, qu'il serait facile de désigner.

Heller a fait du prélude un petit morceau court, complet néanmoins dans toutes ses parties, se suffisant à lui-même; il a créé un genre. Citons ses Arabesques (op. 49), sa première tentative dans cette voie; ses Préludes (op. 79) déjà en progrès sur l'œuvre précédente; enfin, les préludes op. 81, recueil vrai

ment admirable où tout serait à mentionner. Les pièces intitulées: Chanson de mai, Rêverie, Feu follet, Arabesque, Berceuse, Sonnet, sont de petits chefs-d'œuvre, de goût et de sentiment.

Dans les trois remarquables préludes op. 117, dédiés à M. Niels Gade, Heller a cru devoir s'écarter de la forme habituelle qu'il a adoptée. Ces pièces sont plus développées, et peut-être le titre d'étude leur aurait-il mieux convenu que celui de prélude.

Op. 119, Préludes à mademoiselle Lili.-Ici, nous tombons dans l'excès contraire. Ils sont trente-deux en trente-quatre pages. C'est de l'imperceptible comme proportion, et pourtant comme cela est charmant de pensée, délicat de forme, plein d'invention! Mais combien peu comprendront ce qu'il y a d'art et de véritable poésie dans toutes ces petites pages si finement écrites, et combien, même parmi les admirateurs sincères de Heller, préfèreront les œuvres 49, 79 et 81, moins raffinées, plus corsées et plus vigoureuses!

XIII

Heller a écrit plus de deux cents études de piano. C'est un des maîtres les plus féconds en ce genre. Disons cependant que les études de Heller ne ressemblent en rien aux compositions qui portent généralement ce titre; il n'a pas voulu faire des études utilitaires, propres à déraciner certains défauts inhérents à tous les élèves, et à leur donner de l'agilité, du mécanisme. Il n'a

« 前へ次へ »