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à elle-même, et son cœur une fois ouvert se soulage par des larmes : c'est la marche de la nature.

En général, tout ce début est plein d'adresse; Virgile arrive par des gradations insensibles, mais extrêmement naturelles, aux grands éclats de la passion qu'il veut peindre. C'est à travers les souvenirs de son premier amour, la crainte de sa nouvelle passion, le cri des remords, et les reproches qu'elle se fait d'avance de ses serments violés, que Didon en vient à l'abandon total de sa gloire et au sacrifice d'une longue fidélité. Elle est ici d'autant plus intéressante, qu'elle n'imagine pas même qu'elle puisse succomber.

13) PAGE 12, VERS 15.

Anna refert: O luce magis dilecta sorori, etc.

Tout ce discours d'Élise peut être comparé à celui d'OEnone dans Phedre. Virgile, respectant toujours les idées religieuses, s'est bien gardé de s'autoriser de l'exemple des dieux, comme l'a fait Racine dans ces vers:

Les dieux mêmes, les dieux de l'Olympe habitans,
Qui d'un bruit si terrible épouvantent les crimes,

Ont brûlé quelquefois de feux illégitimes.

14)

(Phédre, act. IV, sc. 6.)

PAGE 14, VERS 6.

Placitone etiam pugnabis amori?

Ce passage a été imité par Racine :

Combattrez-vous encore un penchant qui vous plaît?

7.

591616

15) PAGE 14, VERS 11.

Quid bella Tyro surgentia dicam,

Germanique minas?

Dis equidem auspicibus reor, et Junone secundâ, etc.

Élise joint avec adresse aux considérations politiques les considérations religieuses. Pygmalion, frère de Didon, est d'autant plus à craindre, qu'il est l'assassin d'un époux vivement regretté. L'arrivée d'Énée à Carthage n'est plus pour elle un évènement ordinaire; elle a été dirigée par les dieux mêmes, et principalement par Junon, protectrice de son empire.

16) PAGE 16, VERS 5.

His dictis incensum animum inflammavit amore,
Spemque dedit dubiæ menti, etc.

Le mot inflammavit suit naturellement incensum. La flamme s'échappe et s'élève du brasier une fois allumé. Spemque dedit dubiæ menti, est plein de délicatesse. L'amour n'est jamais dans toute son activité, lorsqu'il est sans espérance.

PAGE 16, VERS 6.

Solvitque pudorem.

Principio delubra adeunt, paceinque per aras
Exquirunt, etc.

La pudeur est ici représentée, avec beaucoup de justesse, comme un lien qu'il a fallu dénouer. Tout ce qui suit est d'une admirable beauté. Les idées religieuses mêlées à celles

de l'amour donnent à la poésie un caractère touchant et soFennel. Pope l'a bien senti dans la composition de sa belle épître d'Héloïse à Abailard. C'est dans le temple, c'est au pied des autels qu'il amène ces deux amants, et qu'il représente l'amour victorieux de la majesté des cérémonies et de la sainteté du sacrifice.

« Viens, dit Héloïse, que son amour malheureux doit conduire à la mort: viens, Abailard, viens, le cierge funéraire dans la main, viens m'adoucir le passage de cette vie à l'autre. » Si on supprimoit de cet ouvrage, l'une des plus belles productions de Pope, l'heureux mélange de l'amour et de la religion, on lui ôteroit son principal mérite.. Colardeau, qui paroît l'avoir senti dans les vers suivans, pas entièrement à l'abri de ce reproche:

n'est

Soit que ton Héloïse, aux pleurs abandonnée,
Sur la tombe des morts gémisse prosternée;
Soit qu'au pied des autels elle implore son dieu;
Les autels, les tombeaux, la majesté du lieu,
Rien ne peut la distraire.

Dans nos cantiques saints c'est ta voix que j'entends,
Quand sur le feu sacré ma main jette l'encens;
Lorsque de ses parfums s'élève le nuage,
A travers ces vapeurs je crois voir ton image..

Dans l'instant redouté des augustes mystères,
Au milieu des soupirs, des chants et des prières,
Quand le respect remplit le cœur d'un saint effroi,
Mon cœur brûlant n'invoque et n'adore que toi.

En général, on voit trop que Colardeau n'a pu lire Pope que dans une traduction française. Plusieurs des beautés de l'original sont mieux conservées dans une imitation que M. de Laharpe en a faite pour remplir les vides laissés par le jeune traducteur. Celui-ci n'avoit pas assez vu combien ce mélange de religion et d'amour est propre à produire de profondes impressions.

Il est difficile d'abord de comprendre pourquoi Didon invoque pour la prospérité de son mariage les dieux de la lumière, des moissons et des vendanges. Cette cérémonie est fondée sur quelque idée philosophique des anciens. Le mariage est la première source de la société; et le Soleil qui féconde la terre, et Cérès et Bacchus qui l'enrichissent, étant les premiers bienfaiteurs de la vie sociale, il doit sembler naturel qu'ils fussent invoqués dans les cérémonies nuptiales. C'est avec la même convenance que Junon est plus particulièrement invoquée, puisque l'hymen étoit sous sa protection spéciale.

18) PAGE 16, VERS 14.

Pecudumque reclusis

Pectoribus inhians, spirantia consulit exta, etc.

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Le mot inhians peint avec une grande énergie l'attention profonde avec laquelle Didon cherche à lire son destin dans les entrailles des victimes. Ce passage a inspiré à Racine plusieurs beaux vers qui en sont évidemment une imitation:

De victimes moi-même à toute heure entourée,

Je cherchois dans leurs flancs ma raison égarée:

D'un incurable amour remèdes impuissans!
En vain sur les autels ma main brûloit l'encens

:

Quand ma bouche imploroit le nom de la déesse,
J'adorois Hippolyte; et, le voyant sans cesse,
Même au pied des autels que je faisois fumer,
J'offrois tout à ce dieu que je n'osois nommer..
(Phedre, act. I, sc. 3.). -

On peut remarquer ici qu'il y a dans Racine une sorte d'esprit, de finesse et d'élégance plus appropriée au génie de notre langue, et dans Virgile plus d'énergie et de mouvement, particulièrement dans ces vers :

Heu! vatum ignaræ mentes! quid vota furentem,
Quid delubra juvant ?

L'imitation n'est pas moins évidente dans ce passage d'Iphigénie ( Act. IV, sc. 4) :

Un prêtre, environné d'une foule cruelle,
Portera sur ma fille une main criminelle,
Déchirera son sein, et d'un œil curieux
Dans son cœur palpitant consultera les dieux!

19) PAGE 16, VERS 17.

Est mollis flamma medullas

Interea, et tacitum vivit sub pectore vulnus.

Mollis flamma est une expression heureuse, parce qu'elle rend avec une extrême précision les tourmens et les délices de l'amour.

Tacitum vivit sub pectore vulnus est tellement intraduisible, que Racine même n'a pas tenté de l'imiter.

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